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pas là une innovation fort originale ; parmi nous, le travail est déjà la commune loi ; l’individu entièrement oisif devient de plus en plus rare. Le trait particulier de la doctrine consiste à imposer de force ce qui s’opère naturellement, si on laisse les choses à leur cours ordinaire. Dans notre société toutefois, chaque ordre de travaux a ses conditions spéciales et un rang hiérarchique. Le communisme croit pouvoir supprimer les différences qui s’y produisent. La constitution politique vers laquelle il aspire décréterait l’égalité de tous les travaux. Pure fiction, profondément contraire à la nature des choses ! Au milieu des applications si diverses qu’imposent à l’activité humaine les exigences sociales, il serait trop absurde d’astreindre chacun à supporter à son tour sa part de tous les services. Pourtant l’égalité serait à ce prix. Sans une telle distribution, elle n’est plus qu’un mensonge ; les professions et les métiers restent ce qu’ils sont naturellement, en dépit des lois conventionnelles. Le partage égal du bien-être exigerait aussi un égal développement intellectuel. Or, le communisme ne songe point à donner à tous les hommes une instruction semblable, pas plus qu’un même emploi. On dit bien : Chacun sera libre de choisir son état ; mais, comme certains métiers indispensables seraient infailliblement abandonnés, on est contraint de placer l’autorité d’un conseil ou d’une magistrature quelconque au-dessus des volontés individuelles. Que devient alors la liberté ? que deviennent les promesses de l’égalité des positions et du bonheur ?

L’organisation du travail selon les idées communistes n’est pas plus attrayante en pratique qu’elle n’est solide en principe. Imaginez sur quelque point du globe une Icarie véritable : est-il un seul homme d’un peu d’activité et d’un peu d’énergie qui consente à échanger les rudes labeurs de notre société actuelle, même avec ses accidens et ses incertitudes, contre les conditions d’un pareil état social ? L’existence y devient insipide et gênée ; il lui manque le mouvement et la vie ; rien n’y remplace le plaisir d’un choix volontaire et la satisfaction qui accompagne tout effort soutenu par l’espérance.

Le socialisme exagéré qui forme la doctrine communiste s’est élevé avec une aigreur extrême contre la concurrence industrielle. Sa critique, plus véhémente que judicieuse, n’a pas jeté un grand jour sur la question même de l’organisation du travail ; cependant cette critique constitue seule l’action propre du communisme moderne. Si on la supprime, il n’est plus rien ; ses déductions manquent d’originalité après les anciennes utopies du même genre. Depuis des siècles, il est demeuré au même point ; il ne s’est pas transformé, il ne s’est pas associé au mouvement général de l’humanité. On le croirait encore au temps où la verve moqueuse d’Aristophane s’exerçait aux dépens de la doctrine et tournait en ridicule ces esprits étroits ou cupides qui prétendaient découper à leur usage et soumettre au niveau de leurs petites pratiques l’idéal que la philosophie avait offert à la contemplation des esprits élevés. On peut aujourd’hui sans crainte laisser les communistes se cramponner, en désespoir de cause, à la question du régime industriel : leur discussion