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Que le travail libre forme des associations libres, que les métiers affranchis se donnent des syndicats volontaires qui suppléent avantageusement à l’action toujours un peu suspecte des lois de police, l’ordre industriel existant pourrait, moyennant certaines précautions, se prêter à ces garanties et revenir un peu sur l’interdiction prononcée par les lois de 1791. Il admet, d’ailleurs, divers conseils qui secondent avec avantage l’administration de l’industrie et du commerce. Ce sont là des élémens de l’organisation du travail. L’erreur du système que nous désignons sous le nom de système des conseils industriels consiste à vouloir agrandir démesurément le rôle et la portée de ces conseils, qu’il reconstitue dans un esprit envahissant, exclusif, et, je dois ajouter, rétrograde.

Si les théories d’organisation dont j’ai parlé ne s’appuient pas toutes sur une petite école, elles sont entourées, du moins, d’un certain nombre de suffrages ; elles ne se présentent pas comme une opinion individuelle et isolée. Voici un dernier projet, qui n’a que son auteur pour partisan, et qui ne semble pas destiné à en réunir d’autres. J’en parle, néanmoins, à cause de son caractère étrange, inattendu, et parce qu’il offre un sujet de réflexions utiles sur le devoir des classes les plus favorisées envers les classes laborieuses. Ce système est exposé dans un livre intitulé Du Paupérisme, par M. Marchand. On peut l’appeler système de restriction de la liberté des masses. Les classes laborieuses, affirme M. -Marchand, sont avilies ; elles ont perdu la conscience de leur dignité ; en attendant qu’elles aient repris leur rang, il faut les contenir et leur enlever une liberté funeste. Sans un régime très sévère, elles ne cesseront point de se nuire à elles-mêmes et à la société. Voilà en quel sens M. Marchand réclame l’organisation du travail. Que le bien-être du peuple soit intimement lié à sa condition morale et intellectuelle, c’est une idée juste ; mais elle a entraîné dans des exagérations impraticables un esprit raide, peu judicieux, qui se place en dehors de la réalité et ne recule devant aucune des conséquences de son principe. Les règlemens disciplinaires de M. Marchand reviennent à établir sur une grande échelle une sorte de surveillance de haute police. L’ouvrier aurait constamment en face de lui un agent chargé de suivre ses mouvemens et de réprimer ses écarts. Ce projet ne se borne pas aux manufactures, il embrasse toutes les professions. Afin de soumettre plus aisément à la surveillance et aux règles disciplinaires les ouvriers qui travaillent hors des fabriques, on les grouperait en corporations. Les familles ouvrières assistées par les bureaux de charité reçoivent déjà des visiteurs chargés de constater les besoins et de vérifier l’emploi des secours : c’est une conséquence de tout système de bienfaisance publique, conséquence fâcheuse sous certains rapports, et cependant inévitable ; mais de quel droit épier la vie de l’ouvrier qui ne réclame aucun secours, et venir exercer des visites domiciliaires chez celui qui vit de son travail sans demander rien à personne ? De quel droit ! réplique M. Marchand ; est-ce qu’on peut dire de lui, dans la situation où il est, qu’il n’aura