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du travail entendue dans son sens légitime, est considérable. Quels en ont été les résultats ? Quelle est aujourd’hui la situation des classes laborieuses après un demi-siècle de liberté et après une grande révolution opérée dans l’industrie par l’emploi des agens mécaniques ? Le sort des travailleurs demande à être envisagé dans deux conditions très distinctes, dans les établissemens industriels et dans les corps d’état placés en dehors des manufactures. Sous le régime de la liberté, la position de ceux-ci s’est-elle, améliorée ? Sont-ils plus heureux qu’avant l’abolition des maîtrises et de tout l’ancien système économique ? A leur égard, la réponse ne me paraît ni difficile ni douteuse : ils ont été affranchis d’une tutelle oppressive. Ce n’est point à eux que la substitution des agens mécaniques aux forces de l’homme a pu occasionner un préjudice même momentané ; ils profitent au contraire, dans les différens usages de la vie, de l’abaissement du prix de presque tous les articles sortant des manufactures. Sans nier les accidens isolés et les souffrances individuelles, ces travailleurs se trouvent, en général, dans des conditions bien meilleures que celles du passé. Ils ont plus de moyens de s’éclairer et plus de moyens de contentement intérieur. Il est plus facile pour eux de prendre un état. De nombreux établissemens sont ouverts pour recueillir et pour instruire leurs enfans ; d’autres sollicitent leurs épargnes pour les leur rendre augmentées dans les momens de gêne. Les salaires sont généralement assez élevés, du moins ceux des hommes. Si l’indigence cependant exerce encore des ravages douloureux, c’est presque toujours la faute de l’ouvrier. La cause du mal n’est pas dans l’organisation industrielle ni dans le taux des salaires ; elle dérive des mauvaises habitudes, de l’imprévoyance et du désordre. Je ne veux pas dire que le nouveau régime soit parfait : il a des inconvéniens comme toutes les choses humaines ; cependant presque tout le bien opéré vient de lui, et presque tout le mal tient à des causes qui lui sont étrangères. C’est dans les grandes villes qu’on voit la dissipation rompre le plus souvent l’équilibre, et rendre pires des situations que l’esprit d’ordre et de conduite aurait le moyen de rendre meilleures.

Si nous considérons maintenant cette autre partie de la population laborieuse qui remplit les manufactures, il devient beaucoup moins facile de caractériser son état en termes généraux. On remarque de trop grandes différences entre les nombreuses branches de l’industrie manufacturière, et jusque dans le sein d’une même fabrication. Ainsi on ne doit point confondre les ouvriers de nos établissemens métallurgiques et de quelques autres usines à feu continu, telles que les verreries et les cristalleries, avec ceux de l’industrie manufacturière proprement dite. Une distinction déjà faite, et qui repose sur des observations exactes, entre les ouvriers employés au travail du coton, de la laine et de la soie, ne permet pas non plus d’assimiler les tisserands du Nord ou du Haut-Rhin aux travailleurs des fabriques de draps de Sedan et de Lodève, des fabriques de mousseline de Tarare ou des métiers de Lyon. De notables différences existent entre des villes adonnées à la même