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décidés à suivre une autre ligne. Ils négligent le réel et s’épuisent à courir après l’ombre. Ils semblent perdre de vue toute pensée d’améliorations particulières et d’efforts positifs. Une idée les a seule occupés durant ces derniers temps, l’idée d’une enquête générale sur l’état des travailleurs. On s’était efforcé de donner à ce cri de ralliement le plus grand éclat possible, sauf à l’abandonner ensuite pour en adopter un nouveau. Une chose m’étonne, je le dirai franchement, c’est que la demande d’une enquête si souvent répétée n’ait pas produit plus d’impression sur les classes ouvrières. Elle a été accueillie avec une froideur évidente. Serait-ce trop s’aventurer d’en conclure que l’enquête n’est pas un besoin très sérieux et très vif ? Nul ne s’imagine qu’elle mettrait fin à toutes les plaintes, et donnerait satisfaction à toutes les exigences. Plus son cercle d’action serait étendu, moins ses conclusions seraient nettes et pratiques. On discute avant, on discuterait après. Que le résultat vienne tromper les prévisions de ceux qui la réclament, ils ne se gêneraient point pour s’en prendre à l’autorité qui l’aurait faite, pour accuser ses intentions et ses moyens. Rien ne serait résolu. Est-ce que le mal est d’ailleurs ignoré ? est-ce que les faits ne sont pas connus ? Chaque jour, une enquête s’accomplit sous un régime de publicité et de discussion, et cette enquête continuelle se complète, se rectifie elle-même ; elle ne se rapporte pas seulement à un moment donné, mais à l’ensemble d’une situation. L’Angleterre, dira-t-on, procède en tout par des enquêtes, et elle en tire des avantages manifestes. Avant d’invoquer l’exemple de nos voisins, on devrait se rendre un compte plus exact de leur situation et de leur manière d’agir. D’abord l’Angleterre n’a point un système administratif pareil au nôtre, qui concentre tous les élémens d’information ; elle n’a pas, à tous les degrés de la hiérarchie, des corps délibérans, dont la discussion porte incessamment la lumière sur l’état du pays. L’enquête parlementaire est souvent le seul moyen d’éclairer les questions. Aussi l’histoire du parlement anglais embrasse-t-elle une série d’enquêtes dont chacune forme le point d’appui de quelque bill important. De plus, en Angleterre, on procède par enquêtes partielles, sur un ordre de faits circonscrits. En suivant cette méthode, il est possible d’arriver à des conclusions utiles et réalisables. De semblables mesures peuvent, en certaines circonstances, être utilement importées chez nous, et servir d’auxiliaires aux moyens réguliers et habituels d’information. Elles diffèrent profondément de l’enquête très générale, très complexe, proposée en ce moment, et qui, s’étendant sur tout le pays, sur toutes les industries, sur toute l’existence des travailleurs, remuerait à la fois presque toutes les questions économiques.

Nous soumettons ces observations aux esprits calmes et réfléchis ; nous n’avons point de répugnance préconçue contre l’enquête : elle ne pourrait qu’apporter de nouveaux argumens à notre opinion sur l’état des classes ouvrières ; seulement, si l’enquête était une fois ouverte, elle ne devrait point s’en tenir au point de vue économique. On ne découvrirait point la source