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et qui aurait eu le courage de troubler ces fêtes naïves ? Eh bien ! non, l’esprit nouveau qui s’agite si fort chez nos voisins se sentit comme blessé. Ce souffle inattendu d’une poésie adorée, au lieu de rafraîchir les ames, aigrit et envenima les plaies vives de cette jeune milice littéraire si éveillée aujourd’hui dans toute l’Allemagne et si prompte à l’attaque. Tandis que la cour de Prusse se laissait charmer par les inventions du poète athénien, tandis que M. Tieck ressuscitait avec grace ses légères tentatives de fantaisie aristophanesque, l’école nouvelle s’imagina voir là une provocation moqueuse, et c’est précisément à l’auteur des Nuées et des Oiseaux qu’elle alla demander conseil pour une réponse hautaine. M. Henri Heine, dans son bizarre et spirituel poème l’Allemagne, avait raillé gaiement le goût de Fréderic-Guillaume IV pour Aristophane, et cette faveur subite, inattendue, de la poésie antique.

« Dans ce dernier chapitre, j’ai tâché d’imiter un peu la conclusion des Oiseaux ; c’est bien certainement la meilleure comédie d’Aristophane.

« Les Guêpes aussi sont une excellente pièce. On la donne aujourd’hui, traduite en allemand, sur le théâtre de Berlin, pour l’amusement du roi.

« Oui, le roi aime cette comédie ; pourtant, si l’auteur vivait, je ne lui conseillerais guère de se rendre en personne à Berlin.

« Le véritable Aristophane à Berlin ! Ah ! le pauvre poète ! ses affaires iraient mal ; nous le verrions bientôt accompagné d’un chœur de gendarmes. »

Or, au moment même où M. Henri Heine, dans ses ironiques menaces, signalait ainsi aux spectateurs de Berlin cet Aristophane qu’on oubliait trop en effet, le hardi citoyen, le satirique sans pitié, voilà qu’un poète traçait vivement une esquisse bizarre, une scène très voisine de la comédie antique par l’audace des attaques et la vigueur trop souvent cruelle des railleries. C’était M. Freiligrath en sa Profession de foi. Nous avons signalé ici cette mascarade burlesque où tous les amis du roi de Prusse, ministres, conseillers, écrivains et artistes, comparaissaient devant le poète pour être bafoués comme Cléon et Euripide. Pourtant ce n’était là qu’une,scène, moins encore, un plan, une indication, une ébauche ; la comédie annoncée par M. Heine, esquissée rapidement par M. Freiligrath, c’est M. Prutz qui l’a faite. M. Heine raillait agréablement ; M. Freiligrath était vif, pressant, mais il n’avait garde d’insister, et son esquisse pouvait sembler une fantaisie excusable ; avec M. Prutz nous aurons l’œuvre complète, sans timidité, sans hésitation, sans fausse modestie. A la bonne heure ! nous allons savoir si le génie allemand est aussi grec qu’il s’en félicite ;