Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 13.djvu/863

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

il est vrai, quand il sera démasqué, racontera tout à l’heure au docteur qu’il a été autrefois républicain et démagogue, et que maintenant, dévoué au pouvoir, il a été nommé conseiller intime et espion privilégié de sa majesté ; mais ce n’est là qu’une précaution de l’auteur, la seule peut-être qu’il ait prise dans son étrange pamphlet. Quand nous verrons Schlaukopf accorder à Germania sa très auguste protection, quand nous le verrons diriger en maître les destinées de sa pupille, alors tous les doutes seront impossibles ; l’allusion ne sera que trop directe, le symbole ne sera que trop clair et trop parlant. Schlaukopf présente donc sa requête au chirurgien ; or, la requête est fort mal accueillie. Les plaisanteries et les bonnes raisons ne manquent pas pour châtier comme il convient ce puéril patriotisme, qui va chercher ses appuis dans les souvenirs fabuleux des temps primitifs. De ces plaisanteries vives et sensées, le docteur, qui est en verve, n’en oublie pas une seule. A l’entendre parler ainsi, on dirait vraiment un homme honnête, sérieux, un bon et courageux citoyen. Tous les argumens du solliciteur sont repoussés par lui avec une verve incisive, et c’est plaisir de l’écouter quand il oppose à ce patriotisme hypocrite le sentiment présent, le sentiment national, qu’il faut encourager autour de soi, au lieu de l’aller chercher dans les forêts d’Arminius. Ce n’est pas là précisément ce que demandait Schlaukopf. Cette leçon de politique n’est guère de son goût : il s’emporte, il menace, et le docteur est forcé de le congédier rudement ; mais, au moment où il saisit le mendiant par les épaules pour le jeter dehors, la perruque du bonhomme lui reste dans la main, son faux nez tombe à terre, et le docteur reconnaît son vieil ami, son vieux camarade de la Burschenschaft, le démocrate Schlaukopf. Seulement, le démocrate s’est converti, et s’appelle aujourd’hui M. le conseiller intime. Il n’en faut pas davantage pour apaiser le docteur ; le voilà converti lui-même par une illumination subite ; le libéral est immédiatement enrôlé dans l’armée du pouvoir. Cette conversion miraculeuse inspire même à Schlaukopf une confiance et une admiration si grande, qu’il va conférer sur-le-champ au docteur une dignité suprême. Agenouille-toi, lui dit-il, et écoute avec un respect religieux. Un grand événement se prépare.

LE DOCTEUR.

J’entends ; on va créer un nouvel ordre, n’est-ce pas ?

SCHLAUKOPF.

Plus que cela.