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tu sentais bien que tu ne pourrais, malgré tes ruses, aveugler complètement notre peuple et arracher de son cœur la douce espérance d’un meilleur avenir, tu t’es vanté toi-même de faire naître ces temps nouveaux… Elle va enfanter, mais non pas le bien qu’on attend, non pas l’avenir qu’on invoque ; non, l’enfant qu’elle a conçu de toi, c’est un dragon qui se déchaînera, furieux, enflammé, par le monde. Sache-le, tu en seras la première victime. Mais toi, reine des ombres, qui as osé usurper ma place, va-t’en ! cache-toi de honte ! laisse-moi cette place qui m’appartient ! C’est moi qui suis la maîtresse et la reine.

LES ESCLAVES.

O étrangère, secours-nous ! Tu n’as pas de robe brillante, tu n’as pas de parure royale, tu portes des haillons comme une mendiante ; mais ne ressemblons-nous pas à des mendians nous-mêmes ? nos mains meurtries ne portent-elles pas des chaînes ?

Oh ! puisses-tu être la libératrice que nous appelons, la chaste femme, la mère future de notre sauveur, la mère de celui qui brisera notre joug et par qui l’éclair de la liberté illuminera tout à coup ce monde endormi dans la nuit !

Que les gouttes de sang de ton front deviennent des diamans précieux ! C’est vers toi que les cœurs s’élancent, c’est devant toi que les genoux fléchissent. Apparais enfin, comme une reine, à ton peuple qui t’invoque !


Cette opposition des deux Allemagnes est peut-être ce qu’il y a de plus net et de plus acceptable dans la satire de M. Prutz. Si l’auteur avait mis plus d’art et d’habileté dans sa fable, si la personnification des chancelleries allemandes n’était pas violemment injurieuse, l’idée serait assez vive. Je sais bien que c’est là un lieu commun, je sais bien qu’il est admis partout que le gouvernement et le pays sont en guerre, qu’il y a un pays officiel, source de toute corruption, et un pays méconnu, souffrant, en qui seul résident la vertu et la probité ; cependant cette opposition est si marquée aujourd’hui chez nos voisins, il y a un désaccord si manifeste, un si éclatant divorce entre la société ancienne que représentent les cabinets, et cette société nouvelle qui a déjà conscience de ses forces et qui commence à parler si haut ; cette situation est si évidente du Rhin jusqu’à l’Elbe, de Carlsruhe à Koenigsberg, que l’auteur était certainement autorisé à en faire son profit. Quand il rentre d’ailleurs dans cette satire générale, il évite les noms propres ; les allusions personnelles, il est plus près de la poésie. Mais revenons à la comédie : le moment est grave ; les gendarmes ne savent à qui entendre, et Schlaukopf va être arrêté lui-même. Il faut pourtant que la fausse Germania réponde aux discours de l’étrangère ; comment