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un pauvre fou nommé Nayler ; qui se croit une incarnation du Christ. Sera-t-il pendu, rôti, mutilé, emprisonné, marqué, fouetté ? Cent dix séances sont consacrées à ce beau débat, « qui prouve, dit assez malhonnêtement l’Écossais Carlyle, le puits et l’abîme sans fond de stupidité que contient le caractère anglais. » Ce pauvre Nayler est condamné à « monter sur un âne à rebours, la tête tournée du côté de la queue de l’animal, — à être marqué sur l’épaule, — à avoir la langue percée, — au pain et à l’eau, — et aux travaux forcés à perpétuité. » Cromwell, mécontent sans doute de ce beau jugement, et trouvant dangereux que l’on châtie si durement les quakers, alors même qu’ils sont fous, ne voulant pas non plus que la chambre s’arroge l’autorité judiciaire, envoie au président ou speaker Widdrington, personnage « bien emparlé, » dit le duc de Créqui dans une lettre, le message suivant :


À notre très aimé et féal sir Thomas Widdrington, speaker (président) du parlement, pour communiquer au parlement.
O. P.

« TRÈS AIMÉ ET TRÈS FÉAL,

« Nous, de notre part, salut.

« Avant remarqué un jugement rendu par vous (le parlement) contre un certain James Nayler : quoique nous détestions et abhorrions l’idée d’accorder ou faire accorder la moindre protection à des personnes qui ont de telles opinions et de telles pratiques, ou qui sont sous le poids des crimes généralement imputés à cette personne ; néanmoins, nous, à qui le présent gouvernement est confié dans l’intérêt du peuple de ces nations, et ne sachant pas jusqu’où pourraient s’étendre les conséquences d’une procédure entreprise entièrement sans nous, — nous désirons que la chambre nous fasse connaître d’après quels principes et quelles raisons elle a procédé.

« Donné à Whitehall le 25 décembre 1656. »


Le pauvre parlement demanda humblement pardon et ne jugea plus de quakers. Ce n’était point d’ailleurs une œuvre aisée, même pour Cromwell, de contenir, d’étouffer ou de réprimer les saillies mystiques du puritanisme, et de condamner au repos ou à la règle l’élément vital et constitutif de la nouvelle société britannique. Ce principe de l’examen individuel, qui avait renversé la hiérarchie papale, continuait de s’agiter, et faisait éruption de mille manières extravagantes. Tout homme qui priait croyait posséder l’esprit saint, et ses actions, quelles qu’elles fussent, se trouvaient justifiées. Telle est l’origine du quakerisme, secte de paix, bercée d’abord dans les persécutions