Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 13.djvu/968

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
964
REVUE DES DEUX MONDES.

pour ainsi dire, à la barre de ce même grand-conseil qui lui accordait, il y a quelques mois, un vote de confiance, il ne s’est pas justifié ; la majorité s’est déclarée non satisfaite de ses explications, et il devra se retirer de la scène qu’il a remplie si long temps. C’est que le parti corps-franc a besoin de places pour ses hommes et du pouvoir absolu pour lui-même. Ses hommes sont obérés et sans considération ; son principe, le principe d’une souveraineté populaire sans conditions, sans responsabilité et sans mesure, exige que le pouvoir soit exercé par ses élus ; son intérêt, enfin, l’oblige à s’assurer la pleine possession de l’arbitraire.

Il est donc probable que Berne va tomber dans un état de désorganisation et d’embarras intérieurs qui pourraient, jusqu’à un certain point, rendre son action au dehors beaucoup moins agressive qu’il n’est permis de s’y attendre ; mais, à supposer que le radicalisme soit forcé d’ajourner ses projets, la guerre n’en est pas moins toujours menaçante entre lui et les cantons catholiques. Comment se rencontreront, dans la prochaine diète, ces adversaires qui se sont pris corps à corps, et dont tant d’évènemens ont envenimé la haine et les méfiances ? Berne, en appelant à son gouvernement les chefs du parti corps-franc, ne met-il pas face à face, dans les conseils de la confédération, des combattans et non des alliés ?

De plus en plus le terrain neutre disparaît, les factions extrêmes envahissent tout ; les voici maintenant au premier rang en diète : l’esprit conciliateur et libéral est calomnié et dédaigné. L’habileté gouvernementale elle-même a perdu la partie avec M. Neuhaus : tout est livré à la fois à la violence et au hasard. Ce mouvement touche à de trop grands intérêts pour que nous ne le suivions pas avec soin dans ses phases principales.


— On n’a pas oublié les fines et poétiques appréciations consacrées dans cette Revue même par M. Henri Blaze aux principaux écrivains de l’Allemagne. Ces appréciations viennent d’être réunies par l’auteur en un volume[1] où, à côté des chapitres déjà connus de nos lecteurs, s’offrent beaucoup de parties nouvelles, au nombre desquelles nous citerons une brillante étude sur Immermann, et quelques pages charmantes sur Louis Tieck. On a ainsi un tableau complet du mouvement lyrique au-delà du Rhin depuis l’époque des premiers Lieder, chantés par le peuple, jusqu’au moment où de glorieux poètes, Goethe et Schiller à leur tête, introduisent la création populaire dans le domaine de l’art. Mus reviendrons sur le livre de M. Henri Blaze, qui, par le sentiment élevé et délicat, par les études sérieuses dont il porte l’empreinte, mérite une place toute particulière parmi les nombreux travaux récemment publiés en France sur l’Allemagne.


V. de Mars.
  1. Écrivains et Poètes de l’Allemagne, in-18, chez Michel Lévy, rue Vivienne.