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l’amour de l’humanité, cette passion sublime qui devait échauffer tous les écrits du XVIIIe siècle. Télémaque est comme une première déclaration des droits des peuples, et le grand caractère de ce livre, c’est que les doctrines en sont formées d’un doux mélange de la charité chrétienne et de la philosophie.

J’admire beaucoup moins certaines nouveautés de détail, ces projets d’assemblées libres et se réunissant régulièrement, et tous ces pressentimens du gouvernement représentatif dont on a beaucoup trop loué Fénelon. L’invention ne lui en était pas propre, car l’Angleterre lui en fournissait des exemples ; et elle pouvait bien être un manque de convenance à cause de son caractère, et d’à-propos à cause de son temps. Dans ces théories, le nouveau, tel que Fénelon l’imagine, est si incompatible avec ce qu’il veut conserver du passé, que ce n’est qu’une difficulté de plus ajoutée à toutes celles qu’il veut résoudre, outre qu’à y regarder d’un peu près, si les abus de la monarchie absolue y sont fort justement attaqués, c’est plutôt au profit de la noblesse que du peuple. Que le désir de trouver pour notre société nouvelle des origines merveilleuses, jusqu’au sein de la cour de Louis XIV, ne nous trompe donc pas sur les vues politiques de Fénelon ; tout cela est du domaine du chimérique, et la gloire des inventions durables en ce genre doit être laissée tout entière aux héroïques novateurs de 1789.


VII – PAR QUELLES QUALITES FENELON APPARTIENT AU XVIIe SIECLE

En écrivant ce qu’on vient de lire, je n’ai pas été sans scrupule sur la sévérité de quelques-unes de mes remarques, ni sans inquiétude sur leur justice. Non que j’aie douté de ma sincérité : l’écrivain qui n’effacerait pas à l’instant tout ce qu’il ne pourrait pas donner pour vrai selon sa nature et ses lumières ne serait pas digne de ce nom ; mais peut-être, pour échapper aux séductions dangereuses, ai-je fermé les yeux à certaines graces solides. Aussi n’est-ce pas sans une sorte de soulagement que j’entre dans l’examen ou plutôt dans l’admiration des vrais titres de Fénelon, de ce qui a fait de l’archevêque de Cambrai l’un des plus grands écrivains du XVIIe siècle.

Il a toutes les qualités des plus illustres : le goût du vrai, qui perce jusque dans ses erreurs, lesquelles n’en sont le plus souvent que l’excès ; — l’amour de la règle, qu’il porte jusque dans les insurrections du sens propre, car il n’est pas un écrivain de son temps qui parle plus souvent de la règle, et qui en répète en plus d’endroits le