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capricieuse, légère, qui effleure les événemens et les hommes sans se confondre avec eux, sans les lier fortement dans un large et saillant tableau. La vie intérieure manque. Que d’esprit dépensé dans les Trois Mousquetaires et Vingt ans après, pour ne faire connaître ni Richelieu ni Mazarin ! Il suffit, pour montrer à quel point ce genre diffère du vrai roman historique, de comparer ces deux images, telles que l’auteur les retrace, à celle du Louis XI de Quentin Durward ou de Notre-Dame de Paris. La Reine Margot n’est-elle pas ainsi ? Ces grands noms de Catherine de Médicis, de Charles IX, de Marguerite de Valois, de Henri de Navarre qui sera Henri IV, — noms glorieux ou sinistres, — y conservent-ils leur signification propre, et ne se rappelle-t-on pas involontairement, en présence de ce drame refait de la Saint-Barthélemy, le récit vigoureux et coloré d'une Aventure sous Charles IX ? Dans la Dame de Montsoreau, M. Dumas n’a point marché sur les traces de M. Mérimée ; mais il s’est imité lui-même. La Dame de Montsoreau n’est autre chose qu’une scène de Henri III, à laquelle se rattache une aventure romanesque, l’amour de trois hommes, — le duc d’Anjou, M. de Montsoreau et Bussy, — pour une même femme, Diane de Méridor. Là encore la vraie couleur historique est absente ; on n’y sent rien de l’agitation profonde, sérieuse, populaire de la ligue. M. Dumas ridiculise l’histoire au lieu de la représenter poétiquement et fidèlement sous ses divers aspects. Le roi, ce n’est pas Henri III avec sa faiblesse mêlée de violence, c’est le bouffon Chicot. Chicot joue M. de Guise, et lui ravit avec une grimace le commandement de la ligue ; c’est Chicot qui, s’affublant d’habits royaux, vient tendre sa tête au ciseau de Mme de Montpensier, lorsqu’elle veut surprendre à Sainte-Geneviève le pusillanime Valois, et lui faire sa toilette de moine. Mais cette lutte ardente, passionnée, des catholiques et des protestans, qui se disputaient le cœur de la France et étaient déjà comme deux nations de mœurs différentes dans la même nation, tandis que le véritable pays était près de se sauver lui-même avec un bon mot et un pamphlet, — ce monde des Guise, de Montluc, de Mornay, de Lanoue, de d’Aubigné, de la Satire Ménippée, — tous ces puissans élémens resteraient encore intacts, si, avant l’auteur de la Dame de Montsoreau, M. Vitet n’avait écrit les États de Blois et la Mort de Henri III.

Comment, dans ces conditions, se peut expliquer le succès des ouvrages de M. Dumas ? Ils sont lus, parce que l’auteur de Monte-Christo répond à quelques-uns de nos penchans en créant des compositions qui étonnent, éblouissent, amusent. C’est un intérêt d’un caractère particulier à côté de celui que Scott a su donner à Ivanhoé ou aux Puritains. Et en ces termes la question n’est pas difficile à résoudre ; les romans de Mlle de Scudéry intéressèrent aussi à leur jour en même temps que le Cid. Cela prouve seulement qu’il y a plusieurs sortes d’intérêt, de même qu’il y a dans notre nature des besoins de plus d’un genre. Il y a les besoins généreux du vrai et du beau, difficiles à satisfaire ; parce qu’ils sont difficiles à saisir, et qui ne changent pas essentiellement avec le temps ; il y a aussi les caprices de mode, les passions de circonstance, les mouvemens fiévreux d’une curiosité inconstante, qui passent, varient chaque jour et chaque heure, et auxquels il faut sans cesse une proie facile et en apparence nouvelle. Le destin des livres est marqué suivant qu’ils s’adressent aux uns ou aux autres de ces besoins ; ceux-ci ont l’intérêt actuel, le succès bruyant et passager ; ceux-là ont l’attrait profond, le succès lent et durable. La mode créera bien des