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l’aventure et comment sa gouvernante prendra l’équipée. C’est ensuite une jeune fille, Madeleine l’oiselière, petite magicienne qui a le don d’appeler à elle les oiseaux de l’air, bohémienne agitée par les instincts de quelque patrie perdue, pâle souvenir de Mignon, qui, au désespoir du curé, ose avouer dans toute son innocence qu’elle a un bon ami. C’est enfin un autre étrange personnage, insouciant vagabond, superbe dans sa misère, dieu antique en haillons que, dans un moment de halte, Léonce surprend à l’écart comme un faune dans les roseaux : c’est Teverino. Étonné par les prodiges de cette nature, Léonce veut en faire aussitôt un instrument de ses desseins à l’égard de Sabina. Teverino, à vrai dire, est le bon ami de l’oiselière. Aussi quelle est l’angoisse de la jeune fille, lorsque Léonce le présente, vêtu d’habits élégans qu’il a portés avec lui, sous le nom du marquis Tiberino de Montefiori à lady G… ! Teverino est beau dans ces vêtemens comme dans sa nudité, lorsqu’il jouait dans les eaux ; il a non-seulement la beauté du corps, mais encore la grandeur de l’imagination, le charme d’un esprit supérieur ; il a, en un mot, toutes les séductions réunies. Il connaît toute chose et en parle en poète, en érudit même, au point de citer Rabelais ; il a une voix admirable, chante comme Rubini, et mène une voiture comme un gentilhomme anglais, ce qui fait qu’il entraîne nos voyageurs à travers les précipices, les montagnes abruptes, Dieu sait où ! L’imprévu, si nous ne nous trompons, commence à paraître pour lady G… Elle est singulièrement émue par Teverino ; elle s’abandonne à sa fascination, puis a honte de lui avoir laissé prendre un baiser le soir, au clair de lune. La pauvre oiselière souffre ; il n’est pas sûr que Léonce ne soit point jaloux ; le digne curé s’inquiète du gîte de la nuit, égayé par plus d’un verre de vin de Chypre. Le lendemain, Teverino les ramène tous vers Saint-Apollinaire, et, pour ne pas reparaître dans son humiliante pauvreté aux yeux de la fière lady, après un jour de travestissement, il reste dans un couvent où ils se sont arrêtés. Là il trouvera la vie de paresse qu’il aime, il pourra contempler le ciel et courir quelquefois vers la petite chaumière de Madeleine, qu’on peut voir au loin entre les sapins, jusqu’à ce que le hasard, son dieu, le conduise ailleurs. Le baiser de la veille ne laisse en lui aucun souvenir, mais il a rapproché Léonce et Sabina. C’est une ébauche, on le voit, où quelques héros sont amenés des quatre coins du monde moral pour se heurter un instant. Qu’a voulu peindre Mme Sand ? A-t-elle voulu opposer les naïfs entraînemens de l’oiselière, qui ne cèle point sa passion et ne s’informe pas de ce qu’on en peut dire, aux coquetteries étudiées, prudentes, de Sabina, la franchise puissante, poétique, de l’homme de la nature aux lassitudes de l’homme du monde réduit à faire naître l’amour de la curiosité ébranlée ? Nous oublions un personnage, c’est lord G… qui, en se réveillant la veille au soir, s’était inquiété de ne plus voir sa femme ; mais il avait bu pour s’étourdir et s’était endormi de nouveau. Évidemment le mari n’est plus pour l’auteur qu’un ennemi de peu de valeur qui n’est plus digne de sérieuses attaques. Mme Sand lui met le verre à la main et un bonnet de coton sur la tête, pour satisfaire, l’une après l’autre, les deux plus belles passions qu’il puisse connaître. S’il y a encore quelques belles pages dans Teverino, l’ensemble se ressent de cette précipitation malheureuse qui empêche les plus poétiques pensées de mûrir.

Au milieu de ces romans dont la faiblesse est trop visible, et qui semblent uniquement destinés à nourrir une curiosité passagère, il en est un dont on regrette