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Ce récit, où l’auteur s’est plu à faire éclater cette pensée de résignation, ne vaut-il pas beaucoup d’autres sermons de révolte mis en action ?

Ce n’est pas que Catherine elle-même soit une œuvre parfaite en tout point : quelquefois la délicatesse de M. Sandeau risque de devenir maniérée. Il y a un autre défaut dont il se doit préserver avec soin et qui tendrait à corrompre l’art même du romancier, c’est celui de trop se montrer dans certains personnages qui répugnent à cette identification. Sur les lèvres du rustique Claude Noirel, ne voit-on pas passer par momens le pli ironique et railleur du poète lui-même ? Le père Noirel, l’intendant Robineau, peuvent perdre ainsi de leur réalité ; on sent mieux encore cette imperfection en lisant une page de Fielding. Ces défauts d’ailleurs n’altèrent pas la pureté générale de cette émouvante histoire. Supposez cependant la même idée trempée dans cette piscine du feuilleton qui a la vertu contraire de l’antique piscine : Catherine, au lieu de chercher un refuge dans le devoir, au lieu d’écouter la sagesse d’un vieillard mourant, se laissera choir dans l’abîme pour qu’on puisse mesurer sa chute et sonder tous les secrets de la corruption. Du presbytère de Saint-Sylvain, berceau de sa jeunesse, témoin de ses nobles et innocentes amours, elle ira peut-être finir dans quelque asile ouvert à la débauche épuisée. François Paty sera sans doute un jésuite occupé à rechercher tous les vils instincts des hommes pour les tenir dans sa domination, à envelopper le monde dans ses haines et dans ses vengeances, à venir suspendre sur ceux qui le gênent cette fameuse épée dont la pointe est partout, et l’intérêt grossier se trouvera ainsi substitué à l’intérêt vivant, idéal, élevé, qui saisit l’esprit et le cœur.


II.

Combien la poésie en particulier, la poésie pure, doit-elle encore plus souffrir de cette déviation générale des idées littéraires ! Il est, nous le savons, un genre d’argumens auxquels se laissent aller volontiers certains esprits ; ils n’ont jamais cru guère à la puissance des tentatives modernes, et ne s’étonnent pas de voir leur faiblesse de plus en plus constatée. Ils se consolent de cette pénurie qui s’annonce en se réfugiant dans l’espérance d’autres grandeurs ; ils l’acceptent comme un fait qu’il n’y a plus qu’à expliquer, et l’explication est facile c’est que notre temps a le regard tourné ailleurs ; il se voue tout entier aux perfectionnemens matériels ; il est positif et compte ses actes ; il se connaît trop Mien. Le siècle qui a créé le Moniteur, et qui a fait de ce livre inflexible le livre de ses destins, du même coup a chassé la fiction. C’est se méprendre étrangement sur la nature de la poésie. Qu’importe cette rigoureuse exactitude des faits dont on parle ? Quoi ! parce qu’il est certain pour nous qu’un homme est sorti de l’obscurité tout éblouissant de génie, qu’il a de sa main remué le monde, placé sa royauté de la veille au-dessus des royautés de dix siècles, pour aller ensuite, trompé par son étoile infidèle, se perdre dans les vapeurs de l’océan, résumant en lui toutes les fortunes ; parce que les compagnons de cette destinée vivent encore et qu’on peut compter leurs cicatrices, n’y a-t-il aucun merveilleux dans cette iliade confirmée par des bulletins ? L’exactitude historique