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l’Angleterre continue solennellement la discussion des réformes auxquelles ses hommes d’état se sont voués. La chambre des lords a définitivement accepté la seconde lecture du bill sur les céréales ; il serait au moins singulier qu’elle se déjugeât à si bref délai lors de la troisième. Le bill des douanes a passé plus vite encore par la même épreuve. C’étaient les deux faces du vieux système protectionniste. Du moment que les représentans aristocratiques de la propriété foncière avaient supprimé les droits qui couvraient la production agricole, il allait de soi que la production industrielle ne frit pas mieux traitée. Il n’y a point eu là de représailles, mais seulement un principe avec ses conséquences. L’attitude de la chambre a été vraiment remarquable, et les nobles pairs se sont rangés aux nécessités du temps avec une dignité dont toutes les opinions leur ont su gré. Les Anglais s’enorgueillissent volontiers de leur aristocratie comme d’une institution nationale ; ils ne s’aperçoivent pas qu’ils n’en célèbrent jamais si bien les louanges que lorsqu’elle s’est elle-même portée de ces coups dont on ne relève pas. Aujourd’hui c’est un concert unanime de reconnaissance. L’aristocratie, dit-on, est d’autant plus précieuse qu’elle est éminemment perfectible ; elle répond à propos aux besoins du peuple et du siècle. En effet, lorsqu’il fallut accepter le reform bill, les lords attendirent que l’émeute les assiégeât aux portes du parlement ; il a suffi ces jours-ci que le duc de Wellington, sans même défendre les mesures de sir Robert Peel, montrât d’un ton presque militaire de quelle conséquence il serait de ne les point adopter. On s’est rendu malgré l’amère et savante éloquence de lord Stanley ; est-ce la sagesse qui vient ou la force qui s’en va ? Toujours est-il que la défaite a été courageusement supportée, sans trop de plaintes inutiles et de récriminations superflues. Les vainqueurs veulent bien dire qu’il n’y a point eu de vaincus, et que c’est là une victoire nationale remportée sur le pays par le pays lui-même après une lutte de quatre-vingts ans. Il sera toujours beau pour une assemblée publique de provoquer dans le pays des sentimens si respectueux.

Il s’en faut de beaucoup que sir Robert Peel se soit ébloui des succès qu’il a obtenus dans le parlement. Il ne s’est pas dissimulé l’appui auquel il les devait, et, quel que soit le talent avec lequel il s’est approprié ces idées fécondes, il n’oublie pas qu’elles appartenaient à d’autres avant d’être les siennes. Les idées de sir Robert Peel, disent les whigs ; c’étaient le sliding scale qui vient de tomber, la taxe du sucre colonial qui va échouer ; tout le reste est à nous : il n’y avait à lui que les précautions dont il habilla d’abord nos réformes. Il faut bien convenir que c’était là cependant quelque chose ; ce n’est point assez pour l’esprit constitutionnel du premier ministre, et il veut aujourd’hui trancher tout débat et gagner son indépendance ou succomber dans l’effort, comme peut-être il s’y attend. Il semble qu’il soit impatient d’en finir avec une situation fausse ; il a battu les protectionnistes avec l’aide des whigs en forçant les whigs à voter pour lui ou à démentir tout leur passé : il veut aujourd’hui battre les whigs avec l’aide du vieux parti tory, sans être tenu vis-à-vis de celui-ci à plus de reconnaissance que vis-à-vis des autres. Il donnerait ainsi à tous les partis politiques des satisfactions qu’ils ne pourraient obtenir sans son intermédiaire, et il gouvernerait réellement, puisqu’en somme aucun de ces partis ne pourrait l’empêcher d’agir contre lui ; mais il faut pour cela qu’il n’y ait pas de coalition, et c’est une coalition que sir Robert Peel affecte aujourd’hui de défier.