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personnage vraiment digne d’intérêt et d’attention, c’est le pasteur Weidig, qui paya ses illusions de sa vie et fut le premier martyr d’une inquisition d’état à jamais déshonorée par sa mort. Le second, victime moins sanglante, mais non moins déplorable, ç’a été M. Jordan. Celui-ci, pourtant, n’appartenait point au même bord que Weidig, et, s’il combattait comme lui pour la liberté germanique, c’était dans d’autres rangs, c’était avec ces fermes défenseurs des principes constitutionnels dont l’opposition raisonnée menaçait les princes d’inquiétudes plus longues et plus graves que ne pouvaient le faire ces ardentes menées des enthousiastes aveugles. Aussi, l’on eût bien voulu frapper les deux partis à la fois ; on affecta même de les confondre, et de ne voir dans les exaltés que les complices et les dupes des politiques. Les politiques en Allemagne étaient encore trop neufs pour une si savante hypocrisie, et trop instruits déjà pour s’associer des conjurés si naïfs. Personne, d’ailleurs, n’ignorait leurs vrais sentimens ; ils en avaient assez souvent témoigné ; ils les publiaient au grand jour dans ces nouvelles chartes promulguées alors sous leur influence, en Hanovre, en Saxe, à Cassel même ; c’étaient presque tous des professeurs, des jurisconsultes, quelques-uns aussi des administrateurs ; un petit nombre d’esprits pratiques et de gens éclairés qui ont fini par convertir l’Allemagne à leurs idées et l’ont rendue ce qu’elle est à présent ; des hommes comme M. de Rotteck et M. Dahlman, pour nommer les plus signalés. Il était avoué partout qu’ils réclamaient la conservation des trônes héréditaires avec autant de sincérité que l’établissement des assemblées délibérantes. Paul Pfizer, le plus fougueux de ces révolutionnaires patiens, celui qui demandait que des députés du peuple siégeassent à Francfort avec les ministres des puissances, celui-là même prétendait maintenir les formes monarchiques. Vainement donc on essaya d’impliquer cette élite de la nation dans les poursuites dirigées contre les complices de la fête de Hambach et de l’attentat de Francfort ; vainement on s’efforça de leur imputer comme un crime cette universelle espérance de la jeune Allemagne, qui mettait spontanément à la tête de sa république ceux qu’elle voyait à la tête du parti libéral. Au milieu de ces sourdes attaques, de ces indignes supercheries, de ces calomnies systématiques, on n’osa point aller jusqu’à la violence ouverte, et, protégés par la franchise même de leur opinion, tous ces nobles suspects échappèrent à de plus dures vengeances ; tous, M. Jordan excepté. M. Jordan, pour son malheur, était sujet de Hesse-Cassel, le pire de ces chétifs gouvernemens patronés par la diète germanique, le plus chargé des plus détestables traditions. Il faut dire jusqu’où la tyrannie peut encore aujourd’hui descendre, et combien encore on a droit d’oser d’infamies légales dans un état européen.

Fils d’un pauvre cordonnier des environs d’Insprück, élevé par charité pour devenir prêtre, formé par son propre travail et sa propre