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politique, elles apprennent du moins à considérer les choses d’un point de vue désintéressé, et elles imposent un respect de soi-même que l’habitude des affaires efface tous les jours davantage. Il faut donc que beaucoup de fonctionnaires viennent siéger dans nos assemblées pour éclairer de leur expérience pratique les questions qui s’y débattent.

Nul ne l’a reconnu plus hautement que M. Thiers, et l’honorable membre a trop l’esprit de gouvernement pour que ses déclarations sur ce point aient pu exciter aucune surprise ; mais il faut des limites même aux meilleures choses, et c’est parce que le pays incline naturellement à choisir des fonctionnaires, et parce que ceux-ci ont à la fois grand désir de se présenter et grand intérêt à être élus, qu’il deviendra nécessaire de faire intervenir l’autorité de la loi pour protéger en même temps et les services administratifs délaissés et la chambre envahie. Il n’y a aucune parité de situation entre le propriétaire indépendant qui quitte son département pour venir remplir à Paris les fonctions gratuites de député et le fonctionnaire qui abandonne l’exercice de ses fonctions et la représentation qui peut y être attachée, pour jouir à Paris, pendant plus de la moitié de l’année, de l’intégralité de son traitement, sans aucune charge. On comprend que tout attire celui-ci et que tout repousse celui-là, et c’est pour rétablir la balance que l’action du pouvoir devient indispensable. Il ne faut pas que la chambre élective se partage en deux classes, l’une de fonctionnaires non exerçant, qui ne sont, durant leur séjour à Paris, que de véritables députés salariés, l’autre de députés remplissant gratuitement des fonctions pénibles et onéreuses. Si l’état actuel des choses continuait, on peut tenir pour assuré qu’avant peu la seconde catégorie aurait à peu près disparu, tant les candidatures seraient poursuivies avec ardeur par les hommes appartenant à la première.

Mais il est un autre point de vue sous lequel ce grand problème ne peut manquer d’être envisagé par quiconque a participé aux affaires publiques. Quel est l’ancien ministre, quel est le ministre en exercice qui ne sache fort bien tout ce que le pouvoir perd en force et en dignité dans les rapports quotidiens des chefs avec les subordonnés, lorsque la députation vient établir une égalité de position entre les uns et les autres ? Un garde-des-sceaux peut-il donner des ordres à ses procureurs-généraux ? Un ministre des travaux publics peut-il disposer de ses ingénieurs sans tenir grand compte de leurs convenances personnelles et de leurs exigences, même les moins légitimes ? Tel substitut sans talent entré à la chambre ne s’est-il pas tenu pour assuré d’arriver au poste le plus élevé, et ne porte-t-il pas en effet la toge de premier président ? Tel ingénieur auquel on avait constamment refusé un avancement hiérarchique n’a-t-il pas forcé les portes du conseil des ponts-et-chaussées en forçant celles du Palais-Bourbon ? Enfin, en tenant compte d’exceptions d’autant, plus honorables qu’elles sont parfaitement volontaires, n’est-il pas reconnu et avéré que, pour le fonctionnaire député, l’avancement est la conséquence prompte et facile du mandat législatif ?

Dans les années qui suivirent la révolution de juillet, on s’était efforcé de remédier à ces graves inconvéniens par l’action combinée de la loi et des habitudes. La loi électorale avait prononcé certaines incompatibilités, et peut-être est-ce le cas de dire que celles-ci n’ont pas toujours été heureuses, et que le principe pouvait recevoir de plus utiles applications. N’est-il pas étrange, par exemple, de voir admettre à la, chambre les ingénieurs en chef et les ingénieurs