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six mille noms propres, et dont le total excède une valeur de 2 milliards ; lorsqu’on parcourt cette série d’ukases destinés à dénationaliser toute une génération prise au berceau, on éprouve une sorte d’épouvante, et l’on se demande si le régime de la terreur, que la France n’a supporté que quinze mois, peut impunément durer quinze années au sein de l’Europe indifférente et inattentive.

En présence de tels attentats, on a besoin de se réfugier dans une foi inébranlable en la justice divine, et l’on se console en songeant que la Grèce a vécu quatre siècles courbée sous le cimeterre ottoman, que l’Irlande est aujourd’hui le plus grand péril de l’Angleterre, parce qu’elle a été son plus grand crime. Ces pensées ont été noblement exprimées par M. de Montalembert dans la discussion si heureusement ouverte par lui à la chambre des pairs. Elles ont assuré à M. Villemain l’un des plus grands succès dont on ait gardé la mémoire au Luxembourg. M. le général Fabvier, M. de Tascher, M. le prince de la Moskowa, M. le duc d’Harcourt, ont parlé avec une émotion à laquelle la chambre s’est associée tout entière. M. le ministre des affaires étrangères a subi cette influence, et il a tenu un langage tout différent de celui qu’il avait parlé au sein de l’autre chambre. Un nouveau débat sur les affaires de Pologne paraît inévitable avant la fin de la session. Il est difficile que le ministère ne soit pas mis en demeure de s’expliquer sur la manière dont il entend les clauses du traité de Vienne relatives à Cracovie. On sait que l’article 4 du traité particulier entre la Russie et l’Autriche déclare et garantit l’indépendance de la ville libre de Cracovie, on sait également que le second paragraphe de l’article 5 du même acte déclare que les sujets respectifs des cieux gouvernemens recevront une représentation et des institutions nationales d’après le mode d’existence politique que chacune des deux cours jugera convenable de leur accorder.

Pour accomplir cette stipulation, placée, comme toutes celles consignées dans les actes de Vienne, sous la garantie des diverses puissances signataires, la Russie avait accordé à la Pologne la constitution du 27 novembre 1815, et l’Autriche avait institué à la même époque en Gallicie une sorte de représentation nationale. Cette diète s’assemble à un jour déterminé chaque année, et présente respectueusement au commissaire de l’empereur des pétitions sans effet. La Prusse a donné au grand-duché de Posen une assemblée provinciale pour se conformer à la même disposition. Si ces institutions politiques n’ont rien de bien sérieux, elles ne constatent pas moins la force du principe qui autorise la France et l’Angleterre à s’enquérir du sort des populations polonaises, sous quelque domination qu’elles soient placées. Il semble donc impossible que d’ici à la clôture de la session législative l’attention publique ne soit pas appelée sur l’exécution de ces traités, que nous subissons sous la condition expresse qu’ils deviendront une règle respectée de tous.

Le rapport du budget sera déposé le 15 avril. Sous peu de jours, la chambre recevra communication du travail de l’honorable M. Dufaure sur les crédits supplémentaires de l’Algérie. Cette grande question d’Afrique est celle qui préoccupe aujourd’hui le plus vivement la chambre. On dit que la principale résolution à laquelle soit arrivée la commission est la création d’un ministère spécial pour les affaires d’Algérie, et les conjectures ne manquent pas sur les combinaisons et les remaniemens auxquels cette création pourrait donner lieu. Nous croyons inutile d’entretenir le public de bruits d’autant moins sérieux, que