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jamais inspiré de sympathie ; mais croyez que ma répugnance n’est pas capable de me rendre partial. Ici le petit nombre de personnes qui hésitent à se joindre au sentiment général de réprobation sous lequel il a succombé disent, pour l’excuser, que c’est un honnête homme. Dieu vous garde, monsieur, d’avoir dans votre parlement beaucoup de gens dont ce soit le seul titre, car ici nous tenons pour les pires hommes politiques ceux dont l’unique mérite est l’honnêteté ! Lord Stanley n’a d’ailleurs jamais été considéré comme un homme d’état, et à cette heure sir Robert Peel ne se pardonne pas d’avoir eu la faiblesse de le faire ministre des colonies, et de lui avoir livré un des plus importans portefeuilles de l’administration. Grace à un rare talent oratoire, lord Stanley a pu être un utile auxiliaire, et rien de plus, car il n’a qu’à un médiocre degré les qualités qui constituent l’homme de gouvernement. Il ne garde pas long-temps une opinion, mais la cause qu’il soutient de son vote et de sa parole lui devient tellement propre, qu’il perd involontairement cette froideur, cette possession de soi-même, qui seules sont capables d’élever un orateur au-dessus de la sphère turbulente des passions du moment. Dans la chaleur de la lutte, ses adversaires politiques se transforment à ses yeux en ennemis personnels. On dirait que, dans l’arène parlementaire, il ne goûte que les émotions du combat, sans s’inquiéter des résultats. Peu lui importent les blessures qu’il fait, pourvu qu’elles soient mortelles. Avec de tels défauts, on ne saurait prétendre à conduire les hommes et à disposer des événemens, ce qui est, après tout, le but où doit tendre un homme d’état. Avec des qualités capables de lui concilier l’affection et l’estime, lord Stanley n’a pas su s’acquérir des amis, et, outre ses adversaires politiques, il s’est fait une foule d’ennemis irréconciliables. Les whigs, dans les rangs desquels il a fait ses premières armes, le tiennent pour un esprit inquiet, capricieux, incapable de règle et de discipline, et estiment médiocrement son caractère, car il n’a que trop souvent sacrifié les intérêts de son parti, de la cause qu’il défendait, à ses passions et à ses antipathies. Les amis de sir Robert Peel n’en font guère plus de cas. Dans son ministère, il s’est montré au dernier point présomptueux, imprévoyant, tracassier, et son administration a créé plus d’embarras au gouvernement que sa parole puissante, mais aujourd’hui sans autorité, ne lui a rendu de services.

Tel est l’homme sur lequel reposent les dernières espérances des protectionistes, trop heureux de compter dans leurs rangs, dégarnis de véritables supériorités, un orateur aussi éloquent, un homme, après tout, aussi considérable que le futur comte de Derby. Lorsqu’il était dans la chambre des communes, lord Stanley y jouait, il est vrai, un des premiers rôles. Sa parole était si redoutée, que presque personne n’osait entrer en lutte avec lui : comme debater, on ne pouvait lui comparer que sir Robert Peel, lord John Russell et lord Palmerston ; mais,