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pour prouver qu’il était digne d’être leur premier magistrat, fit imprimer à cent mille exemplaires les injures que lui adressait lord Brougham. Nous pratiquons volontiers en Angleterre, comme aux États-Unis, ce vieux proverbe : Dis-moi qui te loue, et je te dirai qui tu es.

N’en doutez pas, monsieur, il n’y a personne ici qui n’ait une grande reconnaissance pour la politique de lord Palmerston. Nous n’ignorons pas que sa plus ardente passion a été de faire respecter le nom anglais dans le monde entier, et ce n’est pas un crime à nos yeux. Pour atteindre ce but, lord Palmerston eût-il jeté témérairement une menace de guerre dans la balance, nous ne voyons pas grand mal à cela. Nous ne méprisons pas au même degré que bien des gens parmi vous ces sentimens de dignité et d’honneur national, et nous aimons que l’on sacrifie tout pour conserver intact ce bien si précieux, dût-on mettre en péril nos intérêts matériels. En vous parlant ainsi, je n’exprime que l’opinion générale. Voyez plutôt. On a blâmé lord Palmerston, il est vrai, ses ennemis ont calomnié ses actes ; mais son successeur, lord Aberdeen, a-t-il réparé une seule des fautes qu’on lui reproche, un seul des torts qu’il a eus avec vous ? Nullement. Il a suivi exactement la même politique, et il en a recueilli les fruits. C’est grace à ce que l’on appelle les témérités de lord Palmerston qu’il a été permis à lord Aberdeen de se donner la réputation d’ami de la paix à tout prix. Le souvenir du langage que peut tenir et des mesures auxquelles peut recourir un ministre anglais, voilà ce qui rend si facile la tâche de lord Aberdeen, et la complaisance de votre gouvernement appelle l’esprit modéré et conciliant de ses actes ; mais tenez pour certain que, si les mêmes circonstances se reproduisaient, vous trouveriez dans lord Aberdeen un ministre aussi téméraire que vous accusez lord Palmerston de l’avoir été, et vous lui feriez une gratuite injure de penser le contraire. C’est donc à tort que bien des gens se flattent parmi vous que de long-temps lord Palmerston ne reviendra aux affaires, que la réputation qu’ils lui ont faite de rechercher la guerre et le trouble empêchera tout premier ministre prudent de l’admettre dans son cabinet. D’abord, permettez-moi de vous dire que les personnes qui tiennent le plus haut ce langage n’en pensent pas un mot, et, le jour où lord Palmerston reprendra le département des affaires étrangères, long-temps même avant ce jour, vous les verrez protester qu’ils sont ses meilleurs amis et ses plus humbles serviteurs. Ne soyez donc pas dupe de cette confiance mensongère, et soyez assuré au contraire que le jour où lord John Russell prendra le pouvoir (et ce jour est très proche), lord Palmerston redeviendra ministre, et ministre des affaires étrangères. Si vous connaissiez mieux le caractère et la valeur de cet homme d’état, cette assertion ne vous étonnerait pas.

Vous ignorez peut-être, monsieur, qu’après lord John Russell lord