Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 14.djvu/198

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Palmerston est, dans la chambre des communes, l’homme le plus considérable du parti whig, et que, si lord John Russell laissait vide sa place de leader, elle ne pourrait être remplie que par lui. Entré presque au sortir de l’université dans le gouvernement, lord Palmerston est resté, jusqu’à l’âge de cinquante ans, perdu dans la foule, et, bien qu’il eût rempli pendant près de vingt ans les fonctions de ministre de la guerre, sans place dans le cabinet, il est vrai, bien qu’il eût fréquemment été appelé à prendre la parole dans la chambre des communes, il n’avait acquis la réputation ni d’homme d’état ni d’orateur. On le tenait tout au plus pour un de ces excellens red-tapists, comme nous appelons ici les hommes de bureau, qui font la force d’une administration, mais qui ne seront jamais capables de sortir de cette étroite sphère. Aujourd’hui lord Palmerston est, de l’avis commun, un excellent ministre, laborieux, exact, appliqué à ses devoirs ; il est le premier lieutenant de lord John Russell, et, seul de tout le parti whig, il pourrait être son rival, si l’envie lui en prenait. Ce parleur du second ordre a révélé, à un âge où la plupart des hommes sentent faiblir leurs facultés, un talent, une puissance, un art consommé, qui le placent au niveau des premiers orateurs du parlement. Il a conservé à soixante ans la force de constitution, la chaleur, l’activité, la passion, l’enthousiasme qu’il avait à vingt ans, toutes ces qualités en un mot de la jeunesse qui en font le plus bel ornement et aussi les défauts.

C’est comme debater que lord Palmerston doit être rangé le plus haut. Dans cet art si difficile, aucun orateur du parti whig ne peut lui être comparé. Inférieur à lord John Russell pour le tact, la sagacité, l’art de manier les hommes, à M. Shiel et à M. Macaulay pour la déclamation passionnée, à M. Charles Buller et à M. Cobden pour la force de l’argumentation, il a sur eux tous une supériorité incontestée dans l’arène de la discussion. Maître de lui-même, il discute froidement, sérieusement, comme s’il n’était pas en cause. On le prendrait pour un artiste qui n’aime de la victoire que la satisfaction d’avoir triomphé, plutôt que pour un orateur politique, un homme d’état dont l’avenir est en jeu, qui travaille pour le succès de son parti, et attend au bout de la lice les dépouilles opimes du vaincu. Preste, adroit, il sait toujours et à propos ce qu’il faut dire, et comment il faut le dire pour mettre le droit ou les rieurs de son côté. A cet accent noble, à ces manières franches, ouvertes, on reconnaît le gentleman, le grand seigneur, et ce n’est pas une des moindres causes de ses succès. Par cela même que lord Palmerston est un debater éminent, il néglige, et il y est forcé, des succès plus durables. Le debater ne songe guère à la postérité ; il n’a pas le loisir de travailler pour elle. Le résultat de la discussion, voilà tout ce dont il s’occupe. Aussi les discours de lord Palmerston supportent-ils difficilement l’examen. Ils manquent en général de cette forme polie et