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qu’ils doivent tant à leur verve satirique qu’à une éloquence d’une irrésistible simplicité.

Répandre des vérités utiles, combattre des erreurs dangereuses, attaquer des hommes pervers, tel est le triple but du pamphlet. Tantôt le pamphlétaire ne se propose qu’un de ces résultats, tantôt il les poursuit tous les trois. Il a l’ambition, qui n’est pas médiocre, d’être lu de chacun et de persuader tout le monde, les ignorans comme les habiles, les gens frivoles comme les esprits attentifs. Pour y parvenir, sera-t-il jamais assez clair, assez fort, assez précis ?

Ces qualités n’auront de puissance que si on les applique à propos. On ne crée pas à sa fantaisie le thème, l’occasion d’un pamphlet : on ne peut qu’avoir le mérite, et il est grand, de répondre aux provocations que des circonstances graves et décisives adressent à l’écrivain. Quand en 1788 l’abbé Sieyes établit en quelques pages ce que devait être le tiers-état, et ce qu’il avait été jusqu’alors, la France entière lut son pamphlet et battit des mains.

Le pamphlétaire ressemble à ces héros d’Homère que le poète nous montre sortant des rangs pour combattre seuls. Il a l’humeur querelleuse, et il aime les rencontres, les prises à partie. Le journaliste appartient à une armée soit comme soldat soit comme général : le pamphlétaire s’isole, il se bat à son heure, à sa guise, sans autre discipline que sa volonté. Son talent profitera des inconvéniens de son caractère, et, s’il est difficile à vivre, il sera délicieux à lire. Sous les drapeaux de Napoléon, il y eut pendant quelques années un officier qui faisait le désespoir de ses chefs par son tempérament indisciplinable, et dont les camarades redoutaient la parole caustique. Il arrivait parfois à cet officier de quitter son corps pour aller visiter les bibliothèques de l’Italie : il préférait les manuscrits aux bulletins de la grande armée. A ses yeux, l’empire était plus ridicule que grand, et il eût donné toutes les campagnes d’Alexandre et de César pour un vers de La Fontaine. Or, comment l’homme devant qui Napoléon et sa gloire n’avaient pas trouvé grace eût-il été plus indulgent pour les travers et les fautes de la restauration ? Pendant neuf ans, de 1816 à 1825, la restauration fut poursuivie des impitoyables railleries d’un homme qui, par son goût de l’antiquité et sa manière d’écrire, ressemblait plutôt à un contemporain d’Amyot et de Rabelais qu’à un libéral du XIXe siècle. Paul-Louis Courier se mit à attaquer la cour et l’église, et son ironie fut meurtrière. L’audace de ce nouvel Ulric de Hutten épouvantait jusqu’à ses amis ; elle se riait des entraves et des fictions constitutionnelles. Les opinions et les lieux communs du libéralisme avaient une puissance nouvelle sous la plume de cet humoriste, que rien ne pouvait ni adoucir, ni intimider, ni détourner de son but. Loin de décliner le titre de pamphlétaire, il y