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et d’ordinaire. Comment la jeunesse du conseil d’état, qui avait le rare avantage d’entendre Napoléon, quand il n’était pas à la tête des armées, présider et vivifier la discussion des plus importantes affaires de l’empire, n’eût-elle pas eu quelque enthousiasme pour l’omnipotence intellectuelle d’un pareil génie ? Il y a quelques années, M. de Cormenin a raconté une de ces séances impériales où le débat s’élevait si haut. L’admiration fort légitime de M. de Cormenin n’en avait point fait un Pindare : il faut s’en féliciter, le droit administratif y eût trop perdu. Il est fort heureux que l’auteur des Adieux de Gallus n’ait eu qu’un degré de poésie compatible avec les questions du contentieux. Toutefois les odes de M. de Cormenin ont aujourd’hui un mérite, c’est de nous prouver qu’à vingt-trois ans il ne portait pas

… Dans son cœur
La liberté gravée, et les rois en horreur.

L’ame d’un Brutus n’habitait pas dans l’ame du jeune auditeur au conseil d’état.

Qu’un homme de talent ne veuille pas rester enseveli sous les ruines d’un gouvernement ou d’un parti vaincu, faut-il beaucoup s’en étonner ? En 1814, M. de Cormenin ne négligea rien pour être compris dans l’organisation du conseil d’état de la restauration ; en 1815, Napoléon revient pour quelques mois, M. de Cormenin réussit à se faire réintégrer dans le conseil d’état de l’empire. Louis XVIII rentre à Paris après Waterloo, M. de Cormenin obtint encore sa réintégration dans le conseil d’état royal. Il se sentait invinciblement attiré vers un corps au milieu duquel il devait conquérir la meilleure part de sa renommée. Dès 1818, il jugeait l’institution où il n’occupa jamais que le rang de maître des requêtes. L’ouvrage intitulé : Du Conseil d’État envisagé comme conseil et comme juridiction dans notre monarchie constitutionnelle[1], était un remarquable début. Dès les premières pages, l’auteur montrait à la fois de la fermeté et de la mesure. « Si, dans la recherche d’une meilleure organisation, disait-il, je suis conduit à proposer quelques changemens, je désire et je supplie qu’on les discute avec sévérité, parce que je suis convaincu moi-même qu’il y a souvent plus de périls à innover qu’à maintenir ; mais, d’un autre côté aussi, je ne pense pas qu’il soit tout-à-fait vrai de dire qu’on innove, lorsque c’est toute une société qui se renouvelle, lorsque, renversée dans ses antiques fondemens, elle change de place et cherche une assiette plus ferme contre les coups du temps, de la fortune et des hommes. » Les membres les plus éminens du conseil. M. Cuvier, le chevalier Allent, furent frappés de l’essai du jeune martre des requêtes, et, s’ils n’en approuvèrent pas toutes les théories, ils reconnurent la sève d’un esprit vigoureux qui avait déjà remué

  1. 1818, brochure de 238 pages.