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restrictions, des développemens, et dès-lors, reçue dans l’arsenal de la science, elle devient un instrument. On s’en sert pour entamer des filons encore inexplorés, car c’est ainsi que procède l’exploitation. On n’avance que de proche en proche ; jamais rien ne se trouve qui n’ait été préparé, et quand, du point de vue où nous sommes, le passé gisant déployé devant nos yeux, nous en étudions la formation, nous voyons manifestement tous les apprêts de la découverte, même la plus sublime, à tel point que, si elle avait échappé à l’homme de génie qu’elle honore, elle serait échue en partage ou à quelqu’un de ses émules ou à quelqu’un de ses successeurs. Cela rend particulièrement instructive l’histoire scientifique ; là les événements fortuits interviennent peu, l’enchaînement est palpable, tandis que, dans l’histoire générale, des perturbations profondes masquent le rapport des causes et des effets. Le fuseau de l’histoire scientifique se dévide d’une façon plus simple, et, en le voyant tourner ainsi avec régularité, on s’habitue à porter ailleurs la doctrine de l’évolution, doctrine ici tellement évidente. En outre, on reconnaît quelles profondes connexions a l’histoire politique avec l’histoire scientifique, puisqu’en définitive celle-ci modifie de siècle en siècle les opinions et la manière de voir des populations civilisées. Ce n’est pas pourtant qu’il n’y survienne des dérangemens et qu’elle suive une ligne constamment ascendante. De même que des invasions de barbares ou des catastrophes politiques suspendent ou ralentissent la marche politique, de même des théories fausses, des faits mal observés, des autorités trop respectées, fourvoyant les travailleurs, suspendent ou ralentissent la marche scientifique.

On s’étonnera peut-être que M. Müller ait intercalé le système musculaire, c’est-à-dire l’agent de la locomotion, entre le système nerveux et les organes des sens. C’est qu’il le regarde comme une sorte d’appendice du système nerveux, admettant que la fibre contractile l’est seulement par sa jonction avec la fibre nerveuse. La question est controversée entre les physiologistes ; bon nombre pensent que le muscle possède par lui-même la faculté de se contracter, et que la volonté, conduite par le nerf, n’est qu’un des stimulans propres à exciter la contraction. Pour moi, je partage cette dernière opinion, et dès-lors on comprend que, si elle était adoptée, elle entraînerait un autre arrangement que celui de M. Müller.


VI. — DES SENS.

Le cinquième livre est consacré aux sens. On connaît la célèbre théorie qui a régné dans le XVIIIe siècle, et l’ingénieuse hypothèse qui, pourvoyant à fur et mesure, de chacun des sens, la statue humaine, lui recomposait tout son être intellectuel et moral. Rien de plus erroné : en vain ouvrira-t-on les cinq portes qui mettent en communication avec le