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monde extérieur ; cela ne créera point les facultés qui auront manqué primitivement. Les animaux qui occupent un rang élevé dans l’échelle ont les cinq mêmes sens, et pourtant quelle différence entre eux ! quels instincts divers ! et quelles parts inégales d’intelligence ! La physiologie a donné un démenti complet à la théorie de la sensation, et, quoiqu’il soit vrai de dire que des écoles philosophiques l’ont combattue et réfutée, il est vrai aussi que le vague des démonstrations métaphysiques laisse toujours place aux objections et aux dissentimens. L’impossibilité de faire un être égal à l’homme avec un singe, tout pourvu qu’il est de nos cinq sens, et la possibilité de donner une intelligence complètement humaine (comme cela s’est vu) à un individu privé de trois sens, l’ouïe, la vue et l’odorat, réfutent suffisamment les aberrations où était tombée la métaphysique à cet égard. Quand on cherche dans quelques formules logiques suggérées par l’esprit les explications des choses, on est perpétuellement exposé à méconnaître la réalité.

Ce n’est pas que les sens n’aient un certain rapport avec le développement de l’organisme ; les végétaux en sont absolument privés ; les animaux très inférieurs ne les ont pas tous, et la réunion n’en est complète que dans les classes supérieures. Toutefois ils n’auraient jamais suggéré l’idée, fondamentale en biologie, d’une hiérarchie des êtres. Il ne faut pas voir en cette idée quelque notion tirée de l’essence même de la vie et de laquelle il résulterait que les choses n’ont pas pu être disposées autrement. La hiérarchie des êtres vivans est une conception tout-à-fait empirique, un produit de l’expérience, une conclusion tirée des faits observés. On demandera peut-être à quels signes se reconnaît lequel de deux êtres vivans est supérieur à l’autre ; on se dira qu’au fond il n’y a nulle raison logique de mettre un animal au-dessus d’une plante, ou un mammifère au-dessus d’un crustacé. De raisons logiques pour établir un pareil ordre, il n’y en a pas ; mais il y en a de biologiques : le principe sur lequel repose la classification hiérarchique est celui de la division des fonctions. Plus les appareils se multiplient et se distinguent, plus haut est le rang de l’être ; au contraire, son degré est d’autant plus bas que les appareils se confondent davantage et diminuent en nombre. Dans le végétal, point de système nerveux, point de système musculaire ; tout est réduit aux organes de la reproduction et de la nutrition, et cette nutrition même, combien elle est simple, comparée avec ce qui est dans les animaux ! Tandis que le végétal prend directement au sol les substances alimentaires et les conduit par des canaux ramifiés dans tous les organes où elles se transforment en parties intégrantes, l’animal a un appareil de mastication, un appareil de digestion dans l’estomac, un appareil de chylification dans les intestins, et un système de conduits qui transportent le chyle dans le sang : tout cela, pour arriver au point où le végétal se trouve tout d’abord après la succion exercée