Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 14.djvu/258

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pensées pénibles. On concevra que mon hésitation fût naturelle. Cependant je me rappelai rapidement mille traits de nature à vaincre mes scrupules à l’endroit de la sensibilité mexicaine, et je repris :

— Vous conviendrez au moins qu’on ne se dévoue pas tous les jours aussi vaillamment que vous pour ses amis, et que votre combat avec une tintorera vous fait le plus grand honneur.

À ces mots, la figure de la jeune Indienne se couvrit d’une si mortelle pâleur, qu’il était impossible de ne pas soupçonner dans le fait auquel je faisais allusion quelque drame domestique, dont mes paroles avaient indiscrètement réveillé le douloureux souvenir. Quant à José Juan, sa figure restait impassible, seulement il répondit par un regard d’une impitoyable dureté au regard suppliant que lui lança sa jeune femme, et d’un geste impérieux il la congédia. La jeune Indienne obéit avec cette docilité qui caractérise les femmes de sa race, et la porte la plus reculée de la hutte se referma sur elle.

Lorsqu’elle eut disparu, une expression de sauvage orgueil éclaira la physionomie de José que j’avais vue tout à l’heure si sombre et si rigide.

— Je ne sais pourquoi, dit-il, mais je ne me suis jamais senti plus disposé à la confiance.

Et il vida en même temps un verre de ce mescal aux vertus duquel j’attribuai la disposition expansive que José Juan ne s’expliquait pas.

— Vous m’avez dit que vous partiez demain ? reprit-il brusquement.

— Demain à la pointe du jour.

— C’est bien, alors vous saurez mon histoire, dit José Juan en se levant et en me faisant signe de le suivre. Et, quand nous fûmes hors de la cabane, il regarda le ciel et ajouta : — Le coromuel souffle comme d’habitude, et demain à dix heures, quand il cessera de souffler, la Guadalupe sera loin.

Cela dit, il s’assit sur un canot renversé à la porte de sa hutte et reprit :

— Au commencement de la pêche de l’année dernière, il y avait un homme que je rencontrais partout. C’était un plongeur comme moi. Comme moi aussi, il affectait de n’avoir pas de nom de famille, il s’appelait Rafaël. Au lavoir, sous l’eau, de tous côtés enfin, nous nous trouvions ensemble. Ces fréquentes occasions de nous voir nous avaient rendus fort amis, et l’adresse remarquable qu’il portait dans ses opérations de plongeur m’avait en outre inspiré de l’estime pour lui. Son courage ne le cédait pas d’ailleurs à son adresse des requins, il n’en prenait nul souci ; il avait, disait-il, une certaine manière de les regarder qui les intimidait ; bref, c’était un plongeur intrépide, un beau travailleur, et par-dessus tout un joyeux compagnon.

Cela alla bien ainsi jusqu’au jour où une jeune fille vint avec sa mère s’établir dans l’île d’Espiritu-Santo. Une affaire que j’avais à traiter