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c’est un fragment d’Eschyle dans sa tragédie des Myrmidons. Patrocle a revêtu les armes d’Achille, et il est tombé sous les coups d’Hector ; Achille se reproche amèrement de l’avoir laissé partir. « Ainsi le racontent les fables libyques, s’écrie-t-il ; l’aigle, frappé d’une flèche, disait en voyant les plumes de la hampe : Je meurs, et ce qui fait ma perte, ce n’est pas autre chose que mes propres ailes. » Les animaux du désert et les monstres fabuleux jouaient sans doute un grand rôle dans ces histoires. L’autruche, la grue, le lion, la panthère, le serpent, le chameau, le crocodile, en étaient les principaux acteurs. — Nous n’avons pas d’exemple de fables ciliciennes ; on sait seulement qu’un certain Connis en était réputé l’inventeur. C’étaient probablement des récits merveilleux, des contes à faire peur ; la férocité des Ciliciens était proverbiale en Grèce : une mort cilicienne, un supplice cilicien, rappelaient à l’esprit l’idée des plus atroces tourmens. Il est de Keskos voulait dire c’est un barbare[1]. On n’assigne pas d’inventeur aux fables cypriennes ; Théon le rhéteur nous apprend qu’on les mettait d’ordinaire dans la bouche d’une femme de Cypre. Le poète lyrique Timocréon en fit, à ce qu’il paraît, un grand nombre, et Diogenianus nous en a conservé une dans la préface de son recueil de proverbes. « Aux funérailles d’Adonis, célébrées à Cypre par Vénus, les Cypriens jetèrent dans le bûcher des colombes vivantes. Celles-ci prirent leur vol et s’échappèrent ; mais elles tombèrent par mégarde dans un autre bûcher et périrent. » Timocréon tirait de là cette conclusion, que le coupable finit toujours par être puni comme il le mérite. A en juger par cet exemple et par quelques autres fragmens, la fable cyprienne roulait toujours sur les jeux et les caprices du hasard, sur ce qu’il y a d’imprévu, d’incompréhensible, parfois de ridicule dans la destinée. — La fable carienne paraît avoir été plus gaie ; elle consistait en contrastes piquans, en situations plaisantes. Simonide ne l’avait pas dédaignée, et la seule qui nous reste est encore attribuée à Timocréon : il s’agit d’un pêcheur carien qui, pendant l’hiver, aperçoit un poulpe. « Si je me déshabille, se dit-il à lui-même, et que je me jette à la mer pour avoir ce poulpe, je serai certainement gelé ; si je ne le prends pas, mes enfans mourront de faim. » En pareille circonstance, entre un seau d’eau et un sac d’avoine, l’âne de Buridan se laissait mourir de faim et de soif ; pour notre Carien, il restait sans doute sur le rivage, pesant ses motifs et se gardant bien de prendre un parti, tant qu’à la fin il mourait en même temps de faim et de froid. Les fables phrygiennes, égyptiennes et lydiennes ne se distinguaient peut-être que par le lieu de la scène et la patrie des interlocuteurs. Nous n’avons que trois vers d’une fable lydienne de Callimaque. C’est un dialogue, sur le mont Tmolus, en Lydie, entre le laurier, symbole de la guerre,

  1. Keskos était une ville de Cilicie.