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et l’olivier, symbole de la paix. — Mais, de tous ces jeux d’esprit, ceux que les Athéniens paraissent avoir préférés, ceux qu’ils répétaient le plus volontiers avec force facéties et force calembours dans le goût d’Aristophane, lorsqu’après boire ils laissaient libre cours à leur verve moqueuse, c’étaient les fables de Sybaris. Mis dans la bouche d’un Sybarite, les mots les plus insignifians faisaient rire. Ces lazzis faisaient le principal ornement des comédies d’Épicharme. Aristophane en a mis deux dans ses Guêpes. « Un Sybarite, dit le jovial Philocléon, tomba de son char et se fracassa toute la tête ; il ne savait pas conduire ses chevaux. Un de ses amis s’approcha et lui dit sagement : Chacun son métier ! » C’est par une autre pasquinade de ce genre que le même Philocléon se défend devant ses juges. « Une femme de Sybaris cassa un jour une cuvette ; celle-ci de prendre aussitôt les passans à témoin. — Par Proserpine, dit la vieille, si tu laissais là tes cris et tes témoins pour acheter une attache, tu ferais bien plus sagement. » La fable du Prêtre de Jupiter et de ses deux filles, celle de l’Enfant et du Maître d’école, venaient sans doute en droite ligne de Sybaris.

Les rhéteurs aidant, et aussi les poètes, ces fables, qui d’ailleurs convenaient si bien au caractère du peuple. grec, naturellement sentencieux et beau parleur, se multiplièrent avec une rapidité prodigieuse, comme une tradition populaire que les enfans apprenaient en apprenant à parler, et qui passait de bouche en bouche grossissant toujours. Les Grecs, on le pense bien, ne pouvaient admettre dans leurs annales officielles l’obscure origine, la lente et pénible formation de ces contes qu’ils aimaient tant. Ils poussaient trop loin l’horreur de l’anonyme ; ils traitaient leur histoire en artistes, soigneux de ne laisser aucun point sans lumière, aucune question sans réponse, sauf à se mettre au besoin en frais d’imagination. Il fallait donc un nom commun à toutes ces fables, et ce nom ne pouvait être celui du Cilicien Connis ou du Libyen Cibyssus. Depuis long-temps naturalisé en Grèce, l’apologue ne pouvait être représenté que par un personnage grec de caractère, sinon de naissance. Ésope fut trouvé.

Vers le milieu du Ve siècle avant Jésus-Christ, la nouvelle se répandit dans la Grèce que l’oracle d’Apollon avait parlé, et que les Delphiens, menacés des vengeances célestes, offraient de réparer un crime commis par leurs ancêtres. On disait que, trois générations auparavant, un sage nommé Ésope était venu de l’Orient pour consulter l’oracle, et que la populace de Delphes, irritée par ses fables pleines de traits railleurs, s’était vengée par une accusation de sacrilège. Convaincu d’un crime, qu’il n’avait pas commis, le sage Ésope avait été précipité du haut d’un rocher ; mais en mourant il avait appelé la colère des dieux sur la tête de ses bourreaux. Aujourd’hui les Delphiens portaient la peine du crime de leurs pères, et proposaient de payer le prix du sang à qui se présenterait