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J’ai bien bu, bien mangé, il ne me reste plus qu’à mourir. Avec un peu de bonne volonté, on peut voir là un trait de satire contre le troupeau d’Épicure ; peut-être aussi n’est-ce qu’un souvenir de l’épitaphe de l’athlète Timocréon composée par Simonide : « J’ai bien bu, bien mangé, bien dit du mal des hommes, et je suis ici, moi, Timocréon le Rhodien. » Ailleurs Babrius réfute d’une façon assez singulière une objection contre la Providence. Un homme voit périr un vaisseau avec tous ceux qui le montent ; il accuse les dieux d’injustice. « Pour un impie que portait ce vaisseau, voilà bien des innocens condamnés à périr ! » Pendant qu’il parle, un essaim de fourmis s’approche de lui ; mordu par l’une d’elles, il les écrase avec son pied. Mercure paraît alors, et le frappant de sa baguette : « Laisse les dieux, lui dit-il, juger les hommes comme tu juges toi-même les fourmis. » Cela n’est pas d’une bien haute métaphysique, mais quoi ! chacun son métier, comme disait la fable de Sybaris. Babrius ne s’élève pas au-dessus du simple bon sens, de la sagesse pratique ; cette sagesse pratique a bien aussi son prix. Elle est quelquefois belle et grande dans son livre : après les meurtrières expéditions d’Alexandre, après les luttes sanglantes de ses successeurs, les Grecs finirent par reconnaître que toute cette gloire leur coûtait bien cher. Écoutons Babrius : « Un homme pieux avait, dans la cour de sa maison, érigé une chapelle à un héros ; il lui faisait des sacrifices, couronnait ses autels, les arrosait de vin, et répétait sans cesse des prières : Salut, héros bien-aimé, et donne à ton hôte une riche moisson de biens. Le héros cependant lui apparaissant au milieu de la nuit : Des biens ! dit-il, n’en attends d’aucun de nous. C’est aux dieux qu’il faut les demander. Mais tous les maux qui affligent les hommes, c’est nous qui en sommes les dispensateurs. Si tu veux en avoir, parle, je te les prodiguerai tous, pourvu que tu m’en demandes un seul ; c’est à toi de voir si tu as encore des sacrifices à m’offrir ! »

Les fables suivantes rappellent ces belles allégories que Platon prête à Socrate et que nous avons essayé de traduire plus haut


LE TONNEAU DE JUPITER.

Jupiter recueillit un jour dans un tonneau tous les objets de nos désirs, ferma le couvercle et plaça ce trésor près de l’homme ; mais l’homme, emporté par son impatience, voulut voir ce qu’il y avait dans le tonneau. Il souleva le couvercle, et tout le contenu s’échappa vers les demeures des dieux. L’Espérance resta seule ; le couvercle était retombé à temps pour la retenir. L’Espérance, en effet, habite seule auprès de l’homme, et lui promet tous les biens qui ont fui loin de nous.


L’HOMME, LE CHEVAL, LE BOEUF ET LE CHIEN.

Le cheval, le bœuf et le chien, transis de froid, vinrent à la maison de l’homme. Celui-ci ouvrit la porte, les fit entrer, les réchauffa auprès du feu qui remplissait l’âtre, et leur servit ce qu’il avait, de l’orge au cheval, des pois chiches au