Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 14.djvu/292

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

suffisamment. Et puis comment expliquer la manière toute puérile dont sainte Monique prend la main gauche de son fils entre ses deux mains ? Reste le portrait de M. de Lamennais, dont la couleur et le dessin n’appartiennent à aucune école. Le front, les pommettes, les mâchoires, sont traités avec la même négligence, ou avec la même ignorance, on peut choisir. La bouche ne pourrait s’ouvrir pour parler. Les yeux ne regardent pas. Derrière le front, il n’y a pas de place pour le cerveau. Les mains n’ont pas de phalanges. Et pourtant il s’est trouvé des spectateurs pour louer la ressemblance de ce portrait. Je veux croire que ceux qui parlent ainsi ne peuvent invoquer leurs souvenirs personnels ; car, s’ils avaient vu le modèle, ils parleraient autrement. Il ne suffit pas d’imiter, en l’exagérant, la couleur du visage, pour atteindre la ressemblance. Un visage sans réalité, sans dessin, sans charpente, n’est pas, ne sera jamais un portrait ressemblant.

Les quatre compositions envoyées par M. Decamps se distinguent par des mérites variés, et nous pourrions les traiter avec indulgence, si elles n’étaient signées de son nom ; mais les facultés éminentes dont M. Decamps a donné tant de preuves nous obligent à nous montrer sévère. Il n’y a pas une de ces quatre toiles où il ne soit facile de signaler une rare habileté. Ce qui nous force à ne pas les louer sans réserve, et même à relever scrupuleusement toutes les taches que l’analyse y découvre, c’est le souvenir des compositions merveilleuses auxquelles M. Decamps nous a depuis long-temps habitués. Le parti excellent qu’il sait tirer des sujets en apparence les plus ingrats, l’intérêt qu’il donne à l’emploi de la lumière, le charme qu’il prête à un pan de muraille, l’organisation exceptionnelle dont il est doué, nous imposent le devoir de le juger, non-seulement en le comparant aux peintres contemporains, mais encore, et surtout, en le comparant à lui-même. Or, pour être sincère, nous dirons que M. Decamps est cette année inférieur à lui-même. Malgré les qualités solides qui recommandent chacune de ses compositions, il faudrait avoir perdu la mémoire pour ne pas reconnaître que M. Decamps a souvent mieux fait. Sans nul doute, le petit paysage turc placé dans la galerie de bois a de la grace et de la fraîcheur. Il n’y a pas un coin de cette petite toile qui ne révèle une rare habileté de main ; mais le ton rose des murailles est-il bien vrai ? Les cavaliers ne se profilent-ils pas sur le fond comme un bas-relief ? La verdure n’a-t-elle pas quelque chose de métallique ? Si cette toile était l’œuvre d’un peintre inconnu, nous applaudirions, et nous croirions faire un acte de justice. Il s’agit d’un talent éprouvé, et nous devons changer de langage. Un Souvenir de la Turquie d’Asie rappelle, sans les égaler, plusieurs compositions du même genre signées du nom de M. Decamps. Le sujet n’est rien par lui-même et ne peut intéresser que par une exécution précise et définitive. Or, l’exécution de cette toile