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indulgent. Avec la meilleure volonté du monde, il est impossible de considérer cette exécution comme définitive. L’architecture est bien disposée, j’en conviens ; Marguerite est bien agenouillée ; le démon, placé derrière elle, exprime bien la pensée du mal ; mais tout cela ne suffit pas pour faire un tableau. Pour donner à cette composition bien conçue toute la valeur, toute la beauté, tout l’intérêt qu’elle mérite, il faudrait corriger le dessin de la Marguerite, raccourcir la cuisse gauche, donner de l’élégance au visage, aux mains de la correction, au corps une épaisseur, une forme convenable ; en un mot, il faudrait écrire ce qui est indiqué, achever ce qui est commencé, peindre ce qui est ébauché. Si M. Delacroix n’était pas à nos yeux un artiste doué de rares qualités, nous n’aurions pas pris la peine d’analyser ces trois petites toiles avec une sévérité si scrupuleuse. Le privilège du talent est d’appeler l’attention et la rigueur de la critique. Le public comprendra sans peine la pensée qui nous anime. Que M. Delacroix fasse une composition digne de lui, nous serons heureux de le louer.

M. Diaz possède incontestablement des dons heureux. Il trouve sans effort sur sa palette des tons dont la richesse, l’éclat et la variété éblouissent les yeux. Toutefois je suis très loin de croire qu’il puisse jamais peindre un tableau. Il fait des esquisses charmantes, pleines de grace, de fraîcheur, de spontanéité ; mais il est probable qu’il n’ira jamais au-delà, et, s’il est bien conseillé, il n’essaiera jamais de faire une figure plus grande que la main. Il y a quelques années, ses compositions ressemblaient à un fouillis d’émeraudes et de rubis. Aujourd’hui il est parvenu à trouver l’harmonie et l’unité. Il n’y a guère que son intérieur de forêt qui rappelle l’éclat chatoyant de ses premières compositions. Le plus faible des tableaux de cette année est sans contredit celui qu’il a nommé les Délaissées. Pourquoi ? C’est que les figures sont trois fois trop grandes pour l’inexpérience de son pinceau. Elles ne sont ni construites, ni possibles ; elles n’ont ni épaisseur, ni forme. Il est évident que M. Diaz ne sait pas s’orienter dans une figure de dix-huit pouces. Le Jardin des Amours a le tort de rappeler une admirable composition de Rubens. Autant la composition de Rubens est claire et facile à saisir, autant celle de M. Diaz est vague et confuse. Il y a quelque chose de séduisant dans le premier aspect de ce petit tableau ; mais les figures sont incapables de se mouvoir. Une femme vue de dos, qu’il appelle l’Abandon, est d’une charmante couleur ; mais le dessin est lourd, et l’exiguité de la toile ne dissimule pas l’incorrection. Une Magicienne, Léda, une Orientale, rappellent beaucoup trop la manière de Prudhon, et je n’ai pas besoin d’ajouter que M. Diaz rappelle Prudhon sans l’égaler. J’en puis dire autant de la Sagesse. Si l’auteur de ces charmantes esquisses prend soin de consulter ses forces, s’il a près de lui un ami éclairé, il n’essaiera jamais de faire un tableau où les figures, par leur dimension, exigent