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pourraient saisir et soulever une plume ; mais, franchement, le portrait de la duchesse d’Orléans valait-il beaucoup mieux ?

Le roi offrant à la reine Victoria deux tapisseries des Gobelins au château d’Eu fait honneur au talent facile et gracieux de M. Tony Johannot. Les personnages sont groupés avec bonheur, et l’auteur a su tirer bon parti du costume moderne, ce qui, à notre avis, n’est pas un mérite sans importance. Toutes les figures ont de la noblesse ou de l’élégance, et l’ensemble du tableau offre tout l’intérêt qu’on pouvait attendre d’une pareille scène.

Entre les douze portraits de M. Perignon, je choisis celui de Mlle F… comme le type achevé de sa manière, comme le résumé complet de son savoir. Certes, il est difficile de trouver un modèle plus riche, plus séduisant, dont les lignes offrent au pinceau une plus digne occasion de s’exercer. Quel parti pourtant M. Perignon a-t-il su tirer de ce modèle ? La tête n’est pas modelée, le cou est mal attaché ; quant à la forme du bras droit, elle a au moins le mérite de l’originalité. Le peintre a supprimé les os du poignet, de son autorité privée ; le coude est à peine indiqué, si bien que le bras tourne autour du corps comme un chiffon. La robe, je l’avoue, n’est pas traitée sans habileté, ou plutôt est ébauchée avec adresse ; mais qu’y a-t-il sous cette robe ? Est-ce un corps vivant ? Assurément non : c’est une étoffe gonflée de vent qui ne laisse deviner ni la hanche, ni la cuisse. De tout cela, que faut-il conclure ? C’est que le portrait de Mlle F… ne supporte pas l’analyse. La mode avait pris M. Perignon sous sa protection et l’avait élevé ; la mode l’abandonnera, et il tombera bientôt dans un juste oubli.

M. Édouard Heuss paraît, je crois, au Louvre pour la première fois. Le portrait de M. Guizot et de S. A. R. Mme Adélaïde ne sont pas d’heureux débuts. L’auteur paraît exceller surtout dans l’art d’imprimer à ses modèles un cachet de vulgarité. Tout le monde connaît le beau portrait de M. Guizot si habilement gravé par M. Calamatta, d’après M. Paul Delaroche. M. Heuss a si bien défiguré la tête de M. Guizot, que, sans le secours du livret, il serait impossible de le reconnaître. Il a rétréci l’orbite, abaissé le front, raccourci l’axe du visage ; il a donné aux chairs le ton de l’ivoire enfumé. Entre ses mains, la tête de M. Guizot est devenue une chose sans nom dont la critique ne devrait pas s’occuper, si la laideur singulière de cette toile ne contrastait assez tristement avec les éloges décernés à l’auteur avant l’ouverture du salon.

Le portrait de M. Granet, par M. L. Cogniet, rappelle d’une façon si frappante le ton des figures peintes par M. Granet, qu’il y a sans doute dans cette imitation une respectueuse flatterie. Il semble que M. Cogniet ait emprunté, pour peindre ce portrait, la palette où M. Granet a trouvé son Savonarola. C’est la même raideur, la même absence de modelé ; il n’y a qu’une chose que M. Cogniet n’a pas su emprunter