Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 14.djvu/305

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

par le vent, une pierre noircie par la pluie. Il est difficile de rêver une peinture plus monotone, plus inanimée. C’est la perfection de la nullité.

M. Wyld a peint avec une rare finesse la Terrasse du couvent des capucins à Sorrente, la Villa-Reale à Naples, une Vue de Florence, une Vue prise à Amsterdam ; il est impossible de ne pas admirer la précision des détails, qui ne trouble aucunement l’unité harmonieuse de la composition. Je regrette seulement que M. Wyld n’ait pas modifié la lumière selon les climats.

J’avais entendu vanter M. Verboeckhoven. On disait qu’il avait retrouvé le secret de Wouvermans et de Paul Potter. Quelle a été ma surprise en voyant à quoi se réduit ce talent prodigieux ! Les paysages de M. Verboeckhoven n’ont rien qui justifie toutes ces fanfares. La couleur est terne, la composition froide, le dessin plus qu’ordinaire. Je me suis vainement efforcé de découvrir le mérite mystérieux qui a pu appeler l’attention sur l’auteur. Les animaux placés dans ces paysages, dont on avait fait tant de bruit, manquent de vie et de mouvement. Je crois donc que cette renommée, élevée par un caprice de la mode, n’aura pas une longue durée.

Ici se termine la première partie de notre tâche. La série d’opinions que nous avons émises pourra paraître à quelques-uns de nos lecteurs, entachée d’une excessive sévérité. Dans le temps où nous vivons, la louange est tellement prodiguée, que la franchise passe facilement pour injustice. Toutefois nous avons la ferme confiance que la plupart de nos jugemens seront acceptés et ratifiés par les esprits sérieux. Nous avons dit sans ménagement toute notre pensée sur les tableaux exposés au Louvre ; mais nous sommes loin de considérer les dix-huit cents toiles du salon comme résumant l’état de l’école française. Plus d’un nom célèbre a manqué à l’appel. MM. Ingres et Delaroche, MM. Paul Huet, Jules Dupré, Rousseau, E. Isabey, n’ont rien envoyé. Pour apprécier avec une entière équité l’état de l’école française, il faudrait parler des grands travaux de peinture monumentale exécutés à Dampierre par M. Ingres, à la chambre des pairs par M. Eugène Delacroix, à Saint-Germain-des-Prés par M. Hippolyte Flandrin. À cette condition seulement, il serait possible de prononcer un jugement général. Bientôt, nous l’espérons, il nous sera permis d’entretenir le public de ces travaux importans, et de tempérer par des louanges méritées la rudesse involontaire des pages qui précèdent.

Dans un prochain article, nous parlerons de la sculpture.


GUSTAVE PLANCHE.