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étudié les tables eugubéennes et les inscriptions de ces vieux tombeaux, écrites dans une langue perdue, sont seuls compétens pour terminer la controverse, et pour donner sa juste récompense à l’une des personnes les plus savantes de notre époque. Elle écrit avec fermeté, elle expose les faits avec lucidité, et les ronces dont les vieux sépulcres sont couverts ne l’effraient pas plus que les méchantes auberges de Terracine et les périls ou les ennuis du voyage. C’est la seule justice que notre compétence bornée puisse se permettre de lui rendre.

Les connaissances variées que miss Taylor a semées dans son livre sur l’Italie sont d’une nature plus élégante et plus facile ; elle a lu presque tout ce qui s’est écrit sur ce pays, et elle en donne d’utiles et d’agréables extraits. Le bon sens et le goût recommandent son œuvre, assez innocente, convenable, décente, couverte d’un voile brodé qui ne fait pas le plus petit pli et ne se soulève jamais. Or, le grand charme des voyages, c’est de laisser entrevoir le voyageur, c’est l’originalité des émotions ; comment une fille qui se respecte et veut se marier dirait-elle ses impressions au monde qui l’écoute ? À titre d’écho poétique et de reflet savant, miss Taylor a bien son mérite ; je voudrais cependant que l’on n’écrivît plus de voyages pour nous apprendre que Michel-Ange a peint le Jugement dernier, et que les cuisiniers de Marseille excellent à confectionner la bouillabaisse ; les éruptions du Vésuve me fatiguent, les ruines sont usées, les descriptions du soleil couchant sur la Méditerranée lassent mes yeux. C’est bien pis, quand une jeune personne à peine sortie de la coque du pensionnat feuillette Raphaël Mengs ou Plutarque, sous la direction de son cousin ou de son frère, et me sert, à propos des débris d’Athènes, un abrégé de la vie de Lycurgue, escorté d’une lithographie représentant le Pnyx et le cap Sunium. On m’a conté si souvent la mort de Socrate, la destinée des Abencerrages et les cruautés d’Ali-Pacha ; ne me les répétez pas sur papier vélin. J’aurais bien des choses à dire là-dessus non-seulement à miss Taylor, mais à mistriss Ashton Yates et à quelques-unes des agréables touristes dont je vais m’occuper. J’admire dans leurs savantes veilles des filles et des femmes très bien élevées ; certes, on n’aurait aucune objection à les avoir pour sœurs ou pour femmes, tant elles sont décentes et raisonnablement instruites ; ce savoir et cette décence, lieux communs honorables qui garantissent le bonheur de la famille et la paix du mari, sont, faut-il le dire ? profondément fastidieux comme lecture. C’est bien puéril pour être si lourd, et bien lourd pour être si puéril.

Mistriss Ashton Yates[1] et mistriss Dalkeith Home[2], beaucoup trop historiques encore selon moi et trop versées dans les livres de toutes

  1. Letters from Switzerland ; 2 vol., 1843.
  2. Ride on Horseback, from Paris to Florence ; 2 vol.,1845.