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couleurs, prodigues de citer Muller, Villani, Malaspina, Simonde Sismondi, et toutes les chroniques du monde, n’appartiennent pas, grace à Dieu, à la grosse cavalerie des savantes ; elles ont des pages très charmantes et se mêlent à la sphère plus agréable des paresseuses, qui voyagent pour s’amuser et ne vont pas trop loin. Je les préfère, à ce dernier titre ; ce sont malheureusement des paresseuses honteuses, elles ont peur d’être trop simples, et je les soupçonne d’avoir voulu corriger à coups d’érudition cette heureuse nonchalance et cette voluptueuse recherche des sensations les plus innocentes de la vie. Dès qu’elles se mettent à me dévider les vieilles anecdotes de Bonnivet et de Berthelier, que je trouve dans toutes les biographies, je les ai en très grande horreur. Mistriss Dalkeith Home me plaît mieux quand elle passe un gué et qu’elle a peur, quand la nuit dans le Simplon l’épouvante, ou quand sa jument Fanny ne veut pas avancer. Cette Fanny, la jument noire à laquelle notre écuyère adresse, à la fin de son livre, de très jolis vers, m’intéresse particulièrement ; mais pourquoi mistriss Dalkeith Home entrelarde-t-elle son voyage à cheval de tant de lambeaux sur Charlemagne et Roland, Carmagnole et Rienzi, le Tasse et l’Arioste ? Moins accomplie, elle me plairait mieux ; il y a au monde deux choses qu’il faut faire tout bonnement, voyager et dormir.

Les vraies paresseuses, celles qui évitent l’air scientifique et les citations sans fin, tombent, je l’avoue, dans un autre petit défaut ; celle-ci nous apprend qu’elle a rencontré un beau perroquet vert et jaune, qui disait : Por-r-r-tez armes ! c’est ainsi qu’elle décrit Lisbonne. Celle-là s’extasie sur ce qu’elle a trouvé dans Paris un porteur d’eau qui marchait tête nue ! Eh bien ! je m’arrange mieux de cette talkativeness, de ce babil et de ce papotage inoffensifs que de l’érudition abstruse de celles qui emportent en croupe une bibliothèque entière et tournent le dos au Mont-Blanc pour consulter Saussure. Les dames de cette seconde classe abusent un peu du combat de taureaux, des arabesques de Cordoue et des troubadours provençaux. Miss Stewart Costello[1] ; par exemple, n’a rien de bien neuf à nous offrir ; seulement ses traductions et ses légendes provençales ne manquent pas de grace, et sa courtoisie envers nous est parfaite. Elle est loin de pouvoir rivaliser avec deux très jolis ouvrages, connus depuis assez long-temps, la Femme oisive en Italie[2], par la spirituelle lady Blessington, et le Journal d’une femme qui s’ennuie[3] (Diary of an ennuyée), par mistriss Jameson, écrivain d’un goût délicat et d’un bon style. Ces agréables aquarelles, mêlées de rêveries, d’anecdotes et de descriptions de la nature, se distinguent par

  1. Bowers and Vineyards of France, by miss Stewart Costello ; 2 vol, in-8, 1843.
  2. The Idler in Italy, by lady Blessington ; 2 vol., 1832.
  3. 2 vol., 1836.