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sujets qui se rapportent tous à la condition physique et morale du peuple des campagnes. C’est un livre pratique s’adressant à la raison de tous, écrit d’un style simple, clair et parfois excellent. Quelle différence avec la manière tourmentée de Oui et Non, de Feu ! Feu ! et même de la Légomanie ! Il est sensible combien les derniers pamphlets de M. de Cormenin sont inférieurs aux premiers ; ils offensent souvent le goût et la langue par un style prétentieux et contourné, par des associations, par des créations de mots qui doivent aujourd’hui causer de cuisans regrets à l’auteur, maintenant qu’il est d’un sens plus rassis.

Le succès légitime des Entretiens de village récompense M. de Cormenin de son retour à ces sujets graves et pratiques, à ces matières de législation et d’utilité sociale pour lesquels il est fait. Comme publiciste, M. de Cormenin a été et sera toujours un écrivain éminent : c’est comme publiciste et non comme pamphlétaire qu’il a des titres à une réputation sérieuse et méritée. Pour lui, le pamphlet n’a été qu’une fantaisie, un épisode ; au fond, il n’a jamais eu les passions profondes et tenaces d’un vrai pamphlétaire démocrate ; il jouait plutôt un rôle qu’il ne donnait l’essor à des convictions intimes et lentement formées : aussi nous l’avons vu emprunter un nom pour mieux représenter le personnage qu’il avait adopté. M. de Cormenin s’est mis derrière Timon ; on eût dit qu’il ne voulait monter sur la scène qu’avec un masque sur la figure, comme les acteurs antiques. Que M. de Cormenin redevienne lui-même ; qu’après avoir beaucoup écrit, trop peut-être[1], il ne dissémine plus ses forces, mais que, les disciplinant avec sévérité, il ne nous donne plus que des témoignages incontestables d’un talent épuré. De cette façon, ses pamphlets, dont aujourd’hui le bruit expire, se trouveront encadrés entre les travaux de sa virilité et ceux d’une verte et féconde vieillesse.

Pendant que M. de Cormenin renonce à la popularité démocratique, M. Michelet la brigue ouvertement, et c’est par des pamphlets religieux et philosophiques qu’il espère la conquérir. Ce n’est pas aux questions proprement politiques que M. Michelet s’attaque ; il déclare même qu’il ne voudrait jamais entrer dans la vie publique. « Je me suis jugé, dit-il ; je n’ai ni la santé, ni le talent, ni le maniement des hommes. » En revanche, dans la région des idées, il a une ambition illimitée, sans frein ; il s’enthousiasme avec une candide impétuosité pour des pensées qu’il croit neuves et puissantes. À l’âge où d’ordinaire on se calme, il s’emporte ; c’est un jeune homme de cinquante ans. Il a soif du bruit comme

  1. En 1836, la Société belge de librairie publia à Bruxelles quatre volumes ayant pour titre : Libelles politiques, par M. de Cormenin, membre de la chambre des députés de France. Dans cette collection étaient rassemblés non-seulement les pamphlets signés par M. de Cormenin, mais tous les articles qu’il avait écrits dans les journaux. Chaque libelle est précédé d’un argument. Le soin avec lequel ces argumens sont rédigés semble révéler une main paternelle.