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de pieds-d’alouette et de pavots, coupé d’allées droites plantées de rosiers, d’orangers, de grenadiers et de jeunes mangos, entoure une chaumière en paille, de forme chinoise, avec une petite tente bariolée de rouge et de blanc, tendue tout auprès. C’est le Shalimar, le lieu de plaisance favori, et pour le moment le quartier-général de Rundjet. Dans chaque province, dans chaque ville de son royaume, il en a beaucoup d’autres du même genre, ou plus simples encore, où il s’établit suivant son caprice. Ce sont le plus souvent des tentes distribuées de distance en distance dans la campagne, au bord d’un ruisseau ou sur la margelle d’un puits. Quelquefois c’est un bosquet de figuiers dont les branches ogivales retombent jusqu’à terre, formant des arcades gothiques, sous lesquelles le vieux chef vient chercher un abri contre la chaleur, car il a commencé sa fortune en chevauchant par monts et par vaux, à la tête d’une bande de vrais guerilleros, et la vie en plein air est celle qu’il préfère encore. Il demeure rarement quinze jours dans le même lieu. Son activité, que l’âge n’affaiblit pas, privée des excitations de la guerre, s’use à la chasse. Tous les matins, il tient son audience et expédie ses affaires en plein vent, à moins qu’il ne pleuve. « Il écoute et dicte sa correspondance avec les provinces, puis il lève brusquement la séance et monte à cheval. Il a constamment près de lui une douzaine de ses chevaux sellés et bridés, et galope quelquefois tout le jour, suivi de tout son monde. Il s’arrête où il lui plait ; son dîner, qui se compose d’un peu de riz et d’une caille, avec quelques fruits ou des confitures, le suit partout. Sur les deux heures, il prend généralement un peu de repos[1]. Un tapis est aussitôt déroulé par terre ; il s’assied et mange sa petite ration d’opium. On fait cercle autour de lui, et il passe le temps à causer et à expédier de nouvelles affaires. Voilà ses momens d’audience les plus intimes ; c’est l’heure où il est le plus gai et le plus animé. C’est précisément à un de ces durbars post meridianum que Jacquemont est invité à paraître.

Des groupes d’officiers sikhs et de serviteurs sont dispersés dans le jardin. Le moins apparent de ces groupes est celui qui entoure le roi. Rundjet est assis sur un coussin, au soleil, dans une allée. Un domestique se tient derrière lui, chassant les mouches avec le bout de sa ceinture. A sa gauche, sur un tapis de Perse, est le raja Dhyan-Sing, son favori et son principal ministre ; puis les deux frères de celui-ci, Souchet et Goulab-Sing. Ce dernier (le seul qui survive au moment où nous écrivons) est un gros homme, à tournure très militaire, mais à figure sinistre. D’autres rajas, parmi lesquels est le jeune Hira-Sing, fils de Dhyan, complètent le demi-cercle vers la droite ; ils se lèvent à l’arrivée de MM. Jacquemont, Allard et Ventura, et leur cèdent la place.

  1. Voyez le grand ouvrage de Jacquemont.