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cette influence devient presque nulle. Aussi Bhai-Ram-Sing m’a-t-il envoyé prévenir tout récemment de ne conclure aucun arrangement définitif avec le gouvernement actuel, attendu qu’il ne pouvait durer. Il était presque certain que les troupes, à leur retour, après les fêtes du desserah, prendraient la haute main et commenceraient par mettre à mort Jowahir, la ranie et son fils. Son idée est qu’on pourrait fort bien donner la couronne à Peshora-Sing et l’emploi de ministre à Goulab.

« 6 août. — Il n’y a pas eu réception publique à la cour le 1er du mois, dans l’après-midi, comme c’est la coutume. C’est qu’on était en grande délibération à huis-clos sur nos propositions. Le conseil a duré toute la journée. Il va sans dire que tout ce qu’il y a d’un peu respectable à Lahore en a été exclus, même l’ancien ministre Dina-Nath. Voici les personnages qui le composaient : la ranie, Jowahir-Sing, son moundchi (interprète) et trois de ses favoris, gens du plus bas étage, anciens domestiques qu’il a affublés de divers grades à la cour. L’un était jadis palefrenier, l’autre est un ci-devant commissionnaire du palais, et le troisième un fakir, qui mendiait, il y a quelques années, dans les rues de Lahore. Après d’assez longs débats, on tomba d’accord qu’il était indispensable de répondre à la lettre du gouverneur-général ; mais, comme aucune des personnes présentes n’était capable de rédiger la dépêche, on convint de s’adresser pour ce travail à quelqu’un des anciens conseillers d’état qui sont au courant de ces matières.

« 7 août. — Je reçois à l’instant les nouvelles du 2. Jowahir-Sing, le maharaja et Lal-Sing étaient ce jour-là tous ivres, et par conséquent il n’y a pas eu de conseil. Au lieu de s’occuper de notre affaire, ils étaient allés en partie de plaisir au jardin du Shalimar. Ma lettre arrivant le même soir, mon vakil voulut la remettre aussitôt en personne ; mais, quand il se présenta au jardin royal, on lui en refusa l’entrée. Il insista, en faisant dire au ministre que la commission était très pressée et demandait unes réponse immédiate. On lui répondit qu’il était absolument impossible de le recevoir en ce moment, et qu’il devait revenir le lendemain quand on aurait plus de loisir.

« 8 août. — La lettre a été enfin remise. Bien qu’on ne fût pas tout-à-fait rétabli de l’orgie de la veille, elle a cependant produit son effet, c’est-à-dire, dans le premier moment, un morne silence, puis la réponse que voici : On allait en délibérer immédiatement et nous faire connaître sans plus de retard la décision du gouvernement sikh. Ce jour-là, on a peu bu et beaucoup discuté. Je suppose donc que nous saurons effectivement à quoi nous en tenir dans un jour ou deux.

« 9 août. — Le serdar Jowahir-Sing et son entourage, après s’être abstenus tout un jour de leurs libations habituelles, ont saisi le prétexte de la pluie de la veille et de la douceur inespérée de la température pour aller faire une promenade à éléphant. Chacun a emporté sa bouteille d’eau-de-vie, et ils sont revenus tous tellement ivres, qu’il ne pouvait plus être question d’affaires pour la journée. On a donc envoyé chercher des filles publiques. Jowahir-Sing s’est habillée en danseuse et s’est mis à danser avec elles. »

Cependant le secret de ces négociations s’était ébruité ; les propositions du gouvernement de l’Inde n’étaient plus un mystère pour personne, ni