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pour le peuple, qui y voyait une atteinte portée à l’honneur national, ni pour l’armée, qui comprenait que son existence était menacée. Celle-ci surtout était profondément indignée contre la cour et contre le ministre, qui dans le péril commun ne songeaient qu’à leurs débauches. Comme pour la pousser à bout, elle apprit en ce moment la disparition de Peshora-Sing, un des enfans adoptifs de Rundjet, que Jowahir venait de faire assassiner dans la crainte qu’on n’en fit un concurrent pour son neveu. Alors la tempête éclata, et le gouvernement militaire fut organisé. Il importe, avant de juger ses premiers actes, de bien préciser la situation étrange où cette révolution plaçait le royaume de Lahore. L’armée, constituée en corps délibérant et exécutif, gouvernait seule par l’intermédiaire d’un conseil de chefs choisis dans ses propres rangs. La ranie conservait les sceaux de l’état et devait continuer à signer les ordonnances, que dicterait le conseil. Le Panth, avec une sagesse que n’ont pas tous les réformateurs, voyait dans le vieux drapeau de la royauté un souvenir de gloire et un signe de ralliement qu’il était prudent de conserver.

Pour le moment, il était question de chasser du palais de Rundjet la méprisable cour dont les désordres avaient compromis la sûreté de l’état. On commença par Jowahir, et le ministre, déclaré coupable de haute trahison, fut condamné à mort ; mais il s’était réfugié dans le harem de la reine, et même les plus irrités éprouvaient quelque répugnance à violer le gynécée, cet asile toujours sacré aux yeux des peuples asiatiques. Le 17 septembre, un premier message fut envoyé directement à ranie Chanda. On l’avertissait d’abord, si elle tenait à sa propre vie, de se garder de signer aucun traité avec les Anglais sans la participation du Panth, et puis on lui demandait la remise immédiate de Jowahir, avec menace de mort, en cas de refus, pour tous les membres de la famille royale. Ce fut en vain que la ranie, avec une énergie que le danger et son amour pour son frère avaient réveillée, essaya de tenir tête à l’orage, et qu’en désespoir de cause elle envoya enfin les trois chefs les plus populaires de son parti pour traiter avec l’émeute. Sa résistance, ses prières et même ses offres d’argent échouèrent cette fois contre l’indignation publique. Ses messagers furent arrêtés, jetés en prison, et elle se vit elle-même assiégée dans le palais. Pour toute réponse à ses supplications, on lui signifia de venir avec son frère rendre compte de leur conduite, sous peine de déchéance, non-seulement pour elle-même, mais aussi pour son fils. « Après tout, disait-on, Dhalip-Sing n’avait rien du sang du vieux Rundjet, et bien d’autres princes, un fils de Shere-Sing par exemple, qu’on avait sous la main, avaient tout autant de droits à monter sur le trône. »

Évidemment on était à la veille d’une catastrophe. Le 20 septembre, Fakir-Nour-Oud-Din, l’un des ministres arrêtés par les soldats, fut relâché