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par eux, promettant de porter de leur part une dernière sommation à la reine pour l’engager à sortir du palais et à se remettre entre leurs mains, sans condition, avec son fils, le jeune maharaja, et son frère Jowahir-Sing. Nour-Oud-Din, qui avait pu apprécier l’état des esprits, conseillait à la reine de céder à l’orage. Jowahir-Sing, au contraire, n’écoutant que sa frayeur, suppliait sa sœur de tenir bon et de se défendre dans le palais, qui, selon la coutume orientale, était fortifié comme une place de guerre. Ranie Chanda, qui dans tous ces dangers semble avoir conservé une étonnante présence d’esprit, sut distinguer parmi ces conseils celui du vrai courage. Elle s’apercevait d’ailleurs que tous ses adhérens et même ses domestiques l’abandonnaient l’un après l’autre. Elle se décida donc, le lendemain 21 septembre, sur l’assurance réitérée qu’elle et son enfant n’avaient rien à craindre et que son frère et elle seraient entendus avant qu’il fût passé outre au jugement qui condamnait celui-ci, à se rendre au milieu des insurgés campés dans la plaine de Mian-Mir, à une demi-lieue de la ville. La ranie comptait beaucoup, vis-à-vis des soldats, sur le charme de ses manières et sur l’influence de sa parole spirituelle et courageuse ; le danger, en l’arrachant à ses débauches, lui avait rendu toutes ses facultés. Elle se mit donc en route vers le soir, couchée dans son palanquin, tandis que le jeune roi et Jowahir-Sing la suivaient sur un éléphant, sans autre escorte que quelques-unes de ses femmes montées sur d’autres éléphans.

Cependant, depuis le matin, les troupes s’impatientaient, et, au moment même où le cortège royal franchissait le pont-levis du château, le grand conseil de guerre venait de donner l’ordre de l’attaque. Déjà même une division s’était ébranlée pour marcher à l’assaut, quand elle rencontra sur son passage la reine et sa suite. Les bataillons insurgés, rebroussant aussitôt chemin, se formèrent en deux colonnes serrées de chaque côté des princes et les conduisirent droit à leurs propres tentes. Arrivés là, ils rompirent les rangs, et les plus irrités se pressèrent en tumulte autour des éléphans. La reine fut d’abord obligée de sortir de son palanquin, et on la conduisit comme une captive dans une simple tente de soldat ; puis on commanda au mahaout de l’éléphant qui portait le jeune souverain du Pendjab de faire agenouiller l’animal. Comme ce fidèle serviteur semblait hésiter, on lui tira dans le côté, pour le faire obéir, un coup de fusil qui ne le tua pas, mais qui le blessa grièvement. Il obéit alors ; l’éléphant s’agenouilla, et un soldat, s’avançant, saisit le jeune prince, l’enleva dans ses bras et alla le déposer près de sa mère. On dit alors au cornac de faire relever l’éléphant. A peine l’animal fut-il debout qu’une première volée presque à bout portant fut déchargée sur Jowahir-Sing, qui n’était point encore descendu de son siège. Aucun coup ne l’ayant atteint, il supplia les soldats de lui laisser la vie, et, tandis qu’ils rechargeaient leurs armes,