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privilégiés. Il y a pis encore : on ne régularise aucun des droits civils qui sont issus du nouvel état des tenanciers affranchis par le rachat des redevances féodales, et le domaine royal d’une part, les seigneurs de l’autre, profitent de cette confusion pour intervenir dans les testamens et dans les héritages de leurs débiteurs d’autrefois. Enfin l’on éternise la confection d’un code hypothécaire, ce grand tourment de toute aristocratie. Ajoutons maintenant à cette inertie plus ou moins systématique du gouvernement hanovrien cette sorte de proscription dont il a dernièrement frappé les Juifs, en leur vendant la bourgeoisie au prix d’un serment injurieux à leur foi : nous comprendrons bien alors quelles vues étroites, quels préjugés arriérés conduisent sa politique.

Le vieux roi n’en passe pas moins aujourd’hui pour un très sage prince ; il a converti à sa fortune la grande majorité de ses sujets ; on lui prête les meilleures intentions du monde, il croit peut-être lui-même les avoir ; il a fait preuve d’audace et de persistance. « C’est un homme de tête, disent les bonnes gens, et qui sait bien ce qu’il veut. » Il était trop sincère Anglais pour accéder à l’union des douanes allemandes, et d’ailleurs, dans un pays pauvre qui n’a pas beaucoup d’avenir industriel, les prohibitions du Zollverein auraient renchéri la plupart des objets de consommation, sans qu’il y eût jamais de dédommagement fort assuré dans la production indigène. Le peuple est très reconnaissant de l’opiniâtre fermeté avec laquelle son roi a repoussé les instances de la Prusse, et il met là comme de l’orgueil national. Les finances sont assez régulièrement administrées pour que la dette publique ait été progressivement amortie ; l’impôt ne pèse pas trop lourdement, et l’on s’en réjouit sans aviser plus loin ; on n’en est guère à songer que les droits des citoyens sur l’état sont en raison des obligations de l’état vis-à-vis des citoyens. La seule charge qui soit sensible, c’est le service militaire ; le seul reproche adressé maintenant au monarque, c’est qu’il veuille entretenir une armée trop nombreuse pour ses ressources et la dresser sur le modèle de l’armée prussienne. Encore cette émulation qui l’anime lui-même par rapport à la Prusse descend-elle dans toutes les classes, et les Hanovriens ne regardent pas à dépenser pour leurs soldats, sentant bien qu’ils prennent ainsi plus de consistance vis-à-vis d’un voisin trop redoutable. La Prusse entraîne si naturellement le Hanovre dans son orbite, que celui-ci aura fort à faire pour n’être point absorbé par quelque grande commotion plus ou moins imprévue. Aussi est-il toujours en garde et prêt à résister ; il ne possède pas cependant une nationalité très originale, mais il a cette force de cohésion politique qui résulte nécessairement de la longue habitude d’une même administration : c’est assez pour se tenir à part. Cette appréhension singulière d’une fusion avec la Prusse m’était une preuve de plus après tant d’autres qui m’avaient déjà démontré combien