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furent congédiés un mois avant les vacances ordinaires ; le roi de Bavière interdit à ses sujets la fréquentation de l’université ; la commission d’enquête dirigea son instruction bien moins contre les meurtriers que contre les émeutiers ; l’officier que l’on voulait poursuivre devant la justice criminelle ne se vit pas même traduit devant la justice militaire, et continua son service à Leipzig. La seule satisfaction que l’on s’appliquât à donner aux ressentimens de l’opinion publique, ce fut de lui prouver que la volonté du prince Jean n’avait été pour rien dans la catastrophe, et il sembla que le but unique des commissaires eût été simplement d’écarter d’une auguste tête cette impopularité nouvelle. Vint enfin la résipiscence des bourgeois eux-mêmes, et, pour conjurer toutes les tracasseries qui les menaçaient, ils se confondirent en protestations de dévouement ; leur première supplique était moins humble que menaçante ; ils en firent une seconde où certes l’humilité ne manquait point. Je trouvai là d’ailleurs un trait curieux de naturel : la plupart étaient vraiment et filialement affligés du déplaisir royal, et croyaient faire acte d’indépendance en persistant à se déclarer fidèles sujets malgré le doute injurieux que le monarque affectait pour leur loyauté.

Cette loyauté débonnaire n’allait pas cependant jusqu’à l’oubli complet de leurs droits ou de leurs devoirs : ils voulaient toujours se comporter en libres citoyens d’un état constitutionnel, et de moment en moment il arrivait quelque soubresaut dans leur humeur, qui ne demeurait pas au fond des plus pacifiques. On témoignait dans la société toute espèce de froideur envers les officiers ; des marchands refusaient de vendre aux soldats, et les renvoyaient de leurs boutiques ; un bataillon de la garde communale, complimenté par circulaire ministérielle pour sa bonne conduite pendant la soirée du 12 août, repoussait officiellement ces éloges qui le rendaient suspect. Des deux conseils qui gouvernent à peu près toutes les municipalités allemandes, le plus nombreux, le plus populaire (Stadtverordnete) blâmait énergiquement la mollesse du sénat (Stadtrath), et pétitionnait en son particulier pour ne point s’abaisser avec lui. On voulait même féliciter solennellement un des membres qui n’avait point signé la dernière adresse, tout d’un coup désavouée par le cri public. On en provoquait une d’un bien autre goût : on prétendait exprimer à Robert Blum la reconnaissance générale qu’on lui gardait pour les bons offices de son éphémère royauté.

Cette importance de Robert Blum prouvait assez l’excitation toute nouvelle du sentiment public ; ce n’était pas dans des circonstances ordinaires que la bourgeoisie allemande, toujours un peu gourmée dans sa modestie, eût subi si volontiers un ascendant par trop plébéien. La seule histoire de ce tribun improvisé témoignait clairement de cette révolution qui pénètre jusqu’aux dernières classes de la société germanique :