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simplement, avec ferveur et confiance, — à celui qui ne dort jamais ?


IV – INCONVENIENS DU CELIBAT

J’ai raconté plus haut l’histoire de ma première nuit, et l’on comprend que j’aie ensuite dû me réveiller un peu tard. Abdallah m’annonce la visite du cheik de mon quartier, lequel était venu déjà une fois dans la matinée. Ce bon vieillard à barbe blanche attendait mon réveil au café d’en face avec son secrétaire et le nègre portant sa pipe. Je ne m’étonnai pas de sa patience ; tout Européen qui n’est ni industriel, ni marchand, est un personnage en Égypte. Le cheik s’assit sur un des divans ; on bourra sa pipe et on lui servit du café. Alors il commença son discours, qu’Abdallah me traduisit à mesure :

— Il vient vous rapporter l’argent que vous avez donné pour louer la maison.

— Et pourquoi ? Quelle raison a-t-il ?

— Il dit que l’on ne sait pas votre manière de vivre, qu’on ne connaît pas vos mœurs.

— A-t-il observé qu’elles fussent mauvaises ?

— Ce n’est pas cela qu’il entend ; il ne sait rien là-dessus.

— Mais alors il n’en a donc pas une bonne opinion ?

— Il dit qu’il avait pensé que vous habiteriez la maison avec une femme.

— Mais je ne suis pas marié.

— Cela ne le regarde pas, que vous le soyez ou non ; mais il dit que vos voisins ont des femmes, et qu’ils seront inquiets, si vous n’en avez pas. D’ailleurs, c’est l’usage dans ce quartier-ci.

— Que veut-il donc que je fasse ?

— Que vous quittiez la maison, ou que vous choisissiez une femme pour y demeurer avec vous.

— Dites-lui que dans mon pays il n’est pas convenable de vivre avec une femme sans être marié.

La réponse du vieillard à cette observation morale était accompagnée d’une expression toute paternelle que les paroles traduites ne peuvent rendre qu’imparfaitement.

— Il vous donne un conseil, me dit Abdallah : il dit qu’un monsieur (un effendi) comme vous ne doit pas vivre seul, et qu’il est toujours honorable de nourrir une femme et de lui faire quelque bien. Il est encore mieux, ajoute-t-il, d’en nourrir plusieurs, quand la religion que l’on suit le permet.

Le raisonnement de ce Turc me toucha ; cependant ma conscience