Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 14.djvu/452

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et notre ami l’a élevé aux proportions d’un ouvrage dont il sera tenu compte dorénavant par les historiens. L’esprit de la ligue, pour être parfaitement saisi dans toute sa complication, et démêlé dans ses directions diverses, avait besoin de s’éclairer du jour rétrospectif qu’y jette la révolution de 89 ; il ne s’agit que de ne pas abuser des rapprochemens. Si jamais la chaire s’est vue réellement l’unique ou du moins le principal foyer de ce qui a depuis alimenté la. presse et la tribune aux époques révolutionnaires, ce fut bien alors en effet ; c’est de la chaire que partait le mot d’ordre, que se prônait et se commentait, au gré de la politique, le bulletin des victoires ou des défaites ; quand il fallut faire accepter aux Parisiens la désastreuse nouvelle d’Ivry, le moine Christin, prêchant à deux jours de là, en fut chargé, et il joua sa farce mieux que n’aurait pu le plus habile et le plus effronté des Moniteurs. Il réussit bien mieux qu’aucun article du Moniteur n’a jamais fait, il laissa son public tout enflammé et résolu à mourir. Suivre les phases diverses de la chaire à travers la ligue, c’est comme qui dirait écrire l’histoire des clubs ou des journaux pendant la révolution française, c’est à chaque moment tâter le pouls à cette révolution le long de sa plus brûlante artère. Charles Labitte comprit dans toute leur étendue les ressources de son sujet, et, s’il y avait une critique à lui adresser à cet endroit, ce serait de les avoir épuisées. Que de lectures ingrates, fastidieuses, monotones, il lui fallut dévorer pour nous en rapporter quelque parcelle ! De tous les genres littéraires qui sont tous capables d’un si énorme ennui, le plus ennuyeux assurément est le genre parénétique, autrement dit le sermon ; il trouve moyen d’ennuyer, même lorsqu’il est bon ; ici il était relevé par les passions politiques, mais elles n’y ajoutaient le plus souvent qu’un surcroît de dégoût et des vomissemens de grossièretés. Combien de fois, à propos de ce déluge d’oraisons, d’homélies, de controverses, sur lesquelles il opérait, et qui remontaient de toutes parts sous sa plume, l’auteur dut ressentir et étouffer en lui ce sentiment de trop plein qu’il ne peut contenir à l’occasion des cent cinquante-neuf ouvrages du curé Benoît (de Saint-Eustache) : C’est l’ennui même ! Ce sont là de ces cris du cœur qui échappent parfois à l’érudit. Eh bien ! l’esprit vif et léger de notre ami triompha le plus habituellement de l’épaisseur du milieu. Les vues neuves et perspicaces, les choses bien saisies et bien dites, abondent et viennent égayer le courant du détail à travers la juste direction de l’ensemble. Quelques assertions trop rapides et par-ci par-là contestables[1] n’affectent point, cette justesse générale du sens. On a, de nos jours, fort raisonné théoriquement

  1. Celle-ci par exemple : « Il avait fallu répondre à la ligue par de gros livres, comme le de Regno de Barclay ; il suffit au contraire, pour désarçonner la fronde, des plaisanteries érudites de Naudé dans le Mascurat. » Le gros pamphlet de Naudé put être utile à Mazarin auprès de quelques hommes de cabinet et de quelques esprits, réfléchis ; mais, si la fronde n’avait jamais reçu d’autre coup de lance, elle aurait tenu long-temps la campagne. — La plume de l’auteur, en ce passage et dans quelques autres, a couru plus vite que la pensée.