Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 14.djvu/458

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’avant-garde, mais à cette cavalerie qui, survenant toute fraîche le soir d’une victoire, achève l’ennemi qui fuyait.

Au moment où Henri IV fit son entrée en ce Paris long-temps rebelle, à ce beau jour du printemps de 1594, il y eut un essaim de grosses abeilles qui sortit on ne sait pas bien d’où, et peut-être, comme on croit, d’un coin de la Cité, d’auprès le jardin de M. le premier président ; elles marchaient et voletaient devant les lis[1], donnant au visage et dans les yeux des ligueurs fuyards : ce fut la Ménippée même, Les lis alors étaient d’accord avec l’honneur et avec l’espoir de la France. Depuis, quand ils méritèrent d’être rejetés, un autre gros d’abeilles se vit, qui piqua en sens inverse et les harcela long-temps avec gloire : à deux siècles de distance, le rôle national est le même ; la Ménippée et la chanson de Béranger sont deux sœurs.

Viendra-t-on maintenant nous préconiser le Dialogue du Maheustre et du Manant, l’opposer rationnellement, comme on dit, à la Ménippée, lui surbordonner celle-ci, en insinuant qu’elle ne devrait reparaître qu’à la suite et dans le cortège de l’autre ? En France, tant qu’il y aura du bon sens, de telles énormités ne se sauraient souffrir. Ce pamphlet du Maheustre et du Manant[2], très curieux à titre de renseignement historique, est lourd, assommant, sans aucun sel. Le Manant est un ergoteur, un procureur fanatique comme Crucé ; ce Manant n’a rien du véritable esprit français, rien de notre paysan, de notre Jacques Bonhomme, ni de notre badaud de Paris malin et mobile. Il raisonne avec une idée fixe, avec cette logique opiniâtre qui mène à l’absurde, qui aboutirait en deux temps à l’inquisition et à 93. Il n’est, après tout, que l’organe des Seize ; ce pamphlet a tout l’air d’une vengeance sournoise décochée par les Seize in extremis contre les faux frères du parti et contre Mayenne. C’est comme qui dirait une apologie de la portion la plus exagérée et la plus pure de la Commune de Paris, qui aurait paru à la veille du 9 thermidor. En ce qui est du sentiment démocratique avancé dont on serait tenté par momens de faire honneur à l’auteur et à sa faction, prenez bien garde toutefois et ne vous y fiez guère : il y a quelque chose qui falsifie à tout instant cette inspiration de bon sens démocratique,

  1. Et si l’on trouvait que je vais bien loin, en appliquant cette gracieuse image à une production quelque peu rabelaisienne, qu’on se rappelle, entre autres, ce riant et beau passage : « Le Roi que nous demandons est déjà fait par la nature, né au vrai parterre des fleurs de lis de France, rejeton droit et verdoyant du tige de saint Louis. Ceux qui parlent d’en faire un autre se trompent et ne sauroient en venir à bout : on peut faire des sceptres et des couronnes, mais non pas des rois pour les porter ; on peut faire une maison, non pas un arbre on un rameau verd… »
  2. Le maheustre, ainsi nommé par une sorte de sobriquet, représente l’homme d’armes ou le noble sans conviction bien profonde et passé sous les drapeaux du roi de Navarre ; le manant représente le franc paroissien de Paris, le ligueur-ultrà, et qui serait, au besoin, plus catholique que le pape.