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une doctrine assez puissante, assez profonde pour être acceptée par les sages comme la vérité, par la foule comme une religion préférable au culte nouveau sorti de l’hébraïsme. Ce fait incontestable, nous n’avons pas la prétention de l’apprendre à M. Jules Simon ; dans son premier volume, dès le début de la préface, il déclare que l’éclectisme de l’école d’Alexandrie n’est qu’une circonstance extérieure de son histoire, et que la gloire de cette école est dans son mysticisme et son panthéisme. Voilà le vrai : il fallait s’y tenir. Comment aussi un écrivain philosophe aussi distingué que M. Jules Simon a-t-il pu écrire ce lieu commun : Platon et Aristote, c’est la raison et l’expérience ? Comme s’il n’y avait pas de raison dans Aristote, comme s’il n’y avait trace d’observation, d’expérience dans Platon ! N’insistons pas sur une assertion aussi fausse que vulgaire à laquelle l’historien de l’école d’Alexandrie s’est trop facilement laissé entraîner, et signalons plutôt une appréciation ingénieuse et juste du génie de Platon. En voici quelques traits « On a dit que Platon n’était pas un esprit dogmatique, et c’est une erreur, mais il est vrai que ce n’est pas un esprit systématique. Il affirme énergiquement ce qu’il affirme ; mais, s’il voit ses conclusions marcher l’une contre l’autre, sans les abandonner, sans reculer, il s’arrête. Sa philosophie est très dogmatique, très compréhensive ; tout y est, sauf l’unité, le système, de là dans l’histoire la double postérité de Platon, la nouvelle académie, l’école d’Alexandrie, etc. » Cette vue du dogmatisme très peu systématique de Platon donne la raison des interprétations nombreuses dont a été l’objet la doctrine de l’illustre Athénien. De tous les écrivains anciens et modernes, Platon est celui qui a eu la gloire et l’inconvénient de provoquer le plus de spéculations et de rêveries.

L’Histoire de l’École d’Alexandrie est le résultat d’un cours savamment professé pendant plusieurs années ; si on l’ignorait, on pourrait s’en apercevoir à la lecture, à ces longs développemens, à ces analyses détaillées qui sont un des devoirs de l’enseignement. La manière d’écrire de M. Jules Simon est toujours élégante, elle a parfois de l’éclat, parfois aussi un peu de diffusion. Il semble, dans certains endroits, que l’historien de l’école d’Alexandrie, qui, comme professeur, connaît à fond les idées qu’il expose, ne s’est pas donné le temps nécessaire, comme écrivain, pour les revêtir d’une expression assez précise, assez lumineuse. Qui mieux que M. Jules Simon peut connaître les difficultés du style philosophique ? Il faut à la fois ne rien sacrifier de la vérité des pensées, et la rendre accessible à chacun, rester profond, tout en devenant intelligible, même, s’il est possible, agréable et populaire, car enfin l’écrivain ne s’adresse pas tant à ceux qui savent les choses qu’il sait qu’à ceux auxquels il désire les apprendre. Après des critiques que notre franchise et notre estime pour le talent de M. Jules Simon n’ont voulu ni dissimuler ni amoindrir, nous avons bien le droit de signaler