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dans l’Histoire de l’École d’Alexandrie une composition solide et forte, remarquable dans plusieurs parties, excellente dans quelques-unes ; il y a peu de livres où les deux grandes questions du mysticisme et du panthéisme aient été si bien touchées, et qui fassent un aussi réel honneur à l’Université de Paris.

C’est en dehors des préoccupations du professorat que M. Félix Ravaisson a conçu son livre. En 1835, l’Académie des Sciences morales et politiques couronna un mémoire sur la métaphysique d’Aristote. Le jeune auteur de ce mémoire, animé par les suffrages de l’Académie et aussi par la grandeur du sujet, résolut de donner à son travail de nouveaux développemens, et il publia en 1838 le premier volume d’un Essai sur la Méthaphysique d’Aristote, dont à cette époque nous avons entretenu nos lecteurs[1]. Alors M. Félix Ravaisson annonçait que, dans un second et dernier volume, il tracerait l’histoire de l’influence de la métaphysique péripatéticienne sur l’esprit humain, qu’il raconterait les fortunes qu’elle a subies, et qu’enfin il essaierait d’apprécier la valeur intrinsèque de cette grande doctrine. Aujourd’hui, après un long intervalle, M. Ravaisson publie un second volume, qui, loin d’être le dernier, doit être suivi de deux autres. Nous voilà bien loin du mémoire couronné par l’Institut.

La méditation a reculé aux yeux de l’auteur de l’Essai les limites de son sujet, et au milieu de ses études il a conçu le dessein de faire d’Aristote le centre d’une histoire de la métaphysique. Une fois ce projet arrêté, l’écrivain s’est donné tout l’espace nécessaire à l’exécution ; il a consacré le second volume qu’il nous livre aujourd’hui à l’exposition des différens systèmes depuis les successeurs immédiats d’Aristote jusqu’à la fin de la philosophie ancienne. Un troisième volume comprendra l’histoire de la métaphysique dans le judaïsme, le christianisme et l’islamisme en Orient et en Occident jusqu’à la fin du moyen-âge. Un quatrième contiendra l’histoire de la métaphysique dans les temps modernes et la conclusion de tout l’ouvrage. Un pareil plan a de la grandeur et des écueils. Nous comprenons que M. Ravaisson ait été noblement séduit par l’ambition d’écrire une histoire du péripatétisme. Ce sujet, si vaste qu’il soit, a de l’unité. Il n’est pas, depuis vingt siècles, un système dans lequel on ne trouve des traces de la pensée d’Aristote, objet tour à tour de commentaires profonds, de singulières méprises, d’un enthousiasme sans limites, d’une répulsion non moins passionnée. Voilà l’unité, voilà le fil conducteur. Maintenant on peut se perdre dans les replis, ou du moins embarrasser sa marche dans les sinuosités du labyrinthe. A chaque pas, une histoire du péripatétisme peut dégénérer en

  1. Métaphysique et Logique d’Aristote, Revue des Deux Mondes du 1er septembre 1838. L’année précédente, nous avions, dans la Revue, publié une étude sur la Politique d’Aristote.