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tout ce que nous venons de dire. C’est une sorte de cri de désespoir et de sauve qui peut échappé dans un moment de crise et de solitude. Il fallait que l’Angleterre fût dans une situation bien critique pour que Canning pût écrire des paroles comme celles-ci :

« Si je vous écrivais le 13 décembre dernier au lieu de ce présent 13 de juillet, aurais-je pu supporter la pensée de renonciations et de restitutions, sans concessions pour les balancer et les compenser ? Mais nous ne pouvons pas, et nous ne devons pas nous dissimuler à nous-mêmes notre situation. S’il est possible d’avoir la paix, il nous la faut. Je crois fermement qu’il nous la faut, et c’est une conviction qui se fortifie chaque jour. Quand Wyndham me dit que non, je lui dis : « Pouvons-nous avoir la guerre ? » C’est hors de question ; nous n’en avons pas les moyens, et, ce qui est de tous les moyens le plus essentiel, nous n’en avons pas le cœur. Si nous ne sommes pas en paix, nous ne serons en rien du tout… Quant à moi, j’ajourne mes idées d’honneur et de grandeur pour ce pays-ci au-delà du tombeau de notre importance militaire et politique, que vous êtes en ce moment à creuser à Lille. Je crois en notre résurrection, et c’est là ma seule consolation. »

Canning ajoutait, il est vrai : « Bien que je prêche la paix aussi violemment, ne croyez pas que je sois prêt à prendre n’importe laquelle vous pourrez offrir. » Mais il finissait par dire : « Nous ne pouvons rompre que pour quelque chose qui nous arrachera du sommeil et de la stupidité pour nous rendre à une nouvelle vie et à l’action, quelque chose « qui créera une ame sous les os de la mort, » car nous sommes maintenant sans ame et sans cœur. »

Quelques années plus tard, alors que Napoléon arrivait à l’apogée de sa fortune, un autre Anglais célèbre, Walter Scott, jetait aussi un cri d’épouvante presque semblable à celui de Canning. Il écrivait à l’historien Mackintosh que c’en était fait de la civilisation, que le monde était livré à l’étoile du soldat vainqueur, et qu’il ne restait plus aux amis de la liberté qu’à se réfugier dans quelque coin retiré du globe. Canning, il est vrai, était, lui aussi, un poète ; cependant il était déjà dans les affaires publiques quand il écrivit cette lettre, et il devint depuis premier ministre, et, pour qu’un homme politique confessât avec un tel désespoir qu’il n’espérait plus qu’en la résurrection de son pays, il fallait que ce pays lui-même fût alors dans une situation bien précaire.

Nous pourrions multiplier ici les citations pour montrer avec quelle sincérité M. Pitt devait désirer et désirait en effet la paix avec la France ; mais ces preuves se présenteront naturellement dans le cours de la négociation.

Il y eut d’abord quelques hésitations sur le choix du négociateur. Les relations établies à Paris entre Delacroix, le ministre des affaires étrangères