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de l’état sauvage sont telles, qu’il n’y a pas à s’apitoyer sur l’anéantissement prochain de ces races maudites.

Nous comprenons maintenant pourquoi le globe est si peu peuplé malgré la force de procréation départie à l’homme. En Europe jusqu’aux temps modernes, et dans le reste du monde jusqu’à nos jours, nous avons vu l’essor des peuples étouffé par l’impuissance où ils ont été d’accroître leurs alimens, et si, par exception, quelques races sont devenues populeuses, ce n’a été qu’en se soumettant à un régime insuffisant et malsain, en se laissant abâtardir par des privations douloureuses ; mais avec le XVIIIe siècle commence pour l’Europe une ère nouvelle dont on n’a pas assez constaté les bienfaits. L’augmentation du nombre des hommes et la satisfaction de leurs besoins deviennent le but d’une science nouvelle. Il s’élève entre les gouvernemens civilisés une vive émulation pour améliorer le sort matériel des peuples. L’impulsion donnée à l’agriculture, au commerce, à l’industrie, multiplie les ressources de chaque pays ; en même temps, une police plus vigilante protége les citoyens ; l’assainissement des villes conjure les épidémies. La vie humaine devient plus facile et plus longue. Cette révolution pacifique, je le répète, mérite de faire date dans l’histoire de l’humanité. Réclamons-en le principal honneur pour notre pays. Ce sont surtout les philosophes français du XVIIIe siècle qui ont commandé aux gouvernemens le respect pour la vie des hommes ; c’est leur philanthropie sincère, quoi qu’on en dise, qui a inspiré les économistes français, les premiers maîtres de la science ; c’est leur souffle qui a donné la vie aux plus nobles ouvriers de la réforme sociale, aux législateurs de l’assemblée constituante, la plus grande des assemblées politiques, parce qu’elle fut la plus désintéressée et la plus ardente pour le bien.

Fécondées par ces influences, presque toutes les nations européennes sont depuis un siècle en voie de développement, et, malgré des misères que je suis loin de dissimuler, chaque pays pris en masse trouve moyen de proportionner ses ressources au nombre toujours croissant de ses habitans. Il y a trente ans, Malthus prophétisait, avec une sorte de joie pour sa patrie, un amoindrissement de la population. Quelle eût été son épouvante, s’il avait pu vivre jusqu’en 1841, pour comparer, comme je vais le faire, les cinq derniers recensemens décennaux !


1801. 1811. 1821. 1831. 1841.
Angleterre, Galles et Écosse 10,942,646 12,609,864 14,391,631 16,537,398 18,659,865
Irlande » » 6,801,827 7,767,401 8,205,000

21,193,458 24,304,799 26,864,865


Ainsi, la population des trois royaumes est à peu près doublée depuis