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comme un immense bienfait : toute la révolution était là pour les pauvres ; c’était cette conquête que le peuple allait payer de son sang sur vingt champs de bataille. Aussi ce ne fut pas sans beaucoup d’hésitation que le gouvernement impérial se détermina à rétablir un impôt sur cette matière alimentaire ; il eut soin de combiner cette mesure avec la suppression d’une taxe non moins impopulaire que l’ancienne gabelle, la taxe établie pour l’entretien des routes, et ne porta d’ailleurs dans l’origine la contribution sur le sel qu’à un taux modéré. Toutefois sept ans plus tard, en novembre 1810, lorsque les calamités engendrées par un funeste système eurent épuisé les finances, l’empire ne se fit pas faute de doubler la taxe du sel par un simple décret, et de la porter à 4 décimes par kilogramme. À cette époque, la plainte n’avait plus d’écho, la presse était esclave et la tribune muette. La France se résigna donc à payer, comme elle se résignait à mourir ; mais, lorsque la paix vint rendre un libre cours à la pensée publique, on s’éleva de toutes parts contre l’énormité de cette charge. La restauration céda, dans une faible mesure il est vrai, à la pression exercée sur elle par le sentiment du pays. L’un de ses premiers actes fut de réduire l’impôt du sel : la loi du 17 septembre 1814 porta l’impôt à 3 décimes seulement, et le gouvernement prit avec les chambres l’engagement formel de proposer une réduction plus considérable sitôt que l’état des services publics le permettrait.

La réalisation de cet engagement est poursuivie depuis trente ans par les hommes importans de toutes les opinions. Il n’est guère de conseils-généraux qui n’aient exprimé de vœu semblable ; il n’est pas d’opposition qui n’en ait fait un des articles de son programme. Quoi d’étonnant qu’en présence de recettes qui s’accroissent chaque année d’une somme supérieure à celle dont il s’agit de provoquer la réduction, une chambre, à la veille de comparaître devant le pays, ait voulu payer cette grande dette aux intérêts agricoles si souvent sacrifiés ? Il eût fallu prévoir ce mouvement si naturel des esprits, et, en prenant l’initiative de cette grande mesure, le pouvoir aurait eu du moins aux yeux des peuples le mérite du sacrifice qui lui sera imposé ; ou bien, si le ministère considérait comme un strict devoir de s’opposer à une dangereuse innovation, il fallait le faire avec fermeté et résolution. Au lieu de cela, le débat s’est passé en l’absence des ministres principaux, qui ont laissé leur collègue des finances s’engager sans le soutenir, et qui n’ont paru dans l’enceinte législative que pour porter silencieusement leur houle dans l’urne de rejet. Vingt autres boules dévouées sont venues y rejoindre celles des ministres, et, sous l’impression de l’éclatante parole de M. de Lamartine, la chambre a consommé un grand acte d’humanité contre lequel aucune considération ne prévaudra désormais.

La résolution adoptée à une majorité si imposante a été portée au Luxembourg. Le cabinet reconnaît l’impossibilité de provoquer un nouveau débat sur cette matière délicate à la veille des élections générales. On croit donc que la pairie, organe docile de sa pensée, consentira à ne pas s’occuper cette année de la mesure qui lui est déférée, et ce retard permettra de franchir sans trop d’embarras le défilé électoral. Retrempée par l’élection, la chambre reviendra plus ferme encore sur une résolution qui l’honore et la popularise ; il n’est donc pas douteux que la question ne soit résolue au budget des recettes de la session prochaine. Le cabinet profitera-t-il de cette circonstance pour faire disparaître