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en matière civile et criminelle. Entre le collége des magistrats et le corps entier des citoyens, on ne voyait plus, existant de droit, une corporation intermédiaire ; tous les pouvoirs, judiciaires ou administratifs, procédaient uniquement de la délégation publique, et leur durée se trouvait, en général, réduite au terme d’un an. Enfin, par suite de la haute influence que dès l’époque romaine les dignitaires de l’église possédaient sur les affaires intérieures des villes, le défenseur, magistrat suprême, était tombé sous la dépendance de l’évêque ; il était devenu à son égard un subalterne, ou avait disparu devant lui ; révolution opérée sans aucun trouble par la seule popularité de l’épiscopat et dont la pente naturelle tendait à constituer, au détriment de la liber civile et politique, une sorte d’autocratie municipale[1].

Une certaine confusion s’introduisant peu à peu dans les idées sur la source de l’autorité et de la juridiction urbaines, on cessa de voir nettement de qui elles émanaient, si c’était du peuple ou de l’évêque. Une lutte sourde commença dès-lors entre les deux principes de la municipalité libre et de la prépondérance épiscopale ; puis la féodalité vient et agit de toute sa force au profit de ce dernier principe. Elle donna une nouvelle forme au pouvoir temporel des évêques ; elle appliqua au patronage civique, dégénéré en quasi-souveraineté, les institutions et tous les privilèges de la seigneurie domaniale. Le gouvernement des municipes, en dépit de son origine, se modela graduellement sur le régime des cours et des châteaux. Les citoyens notables devenaient vassaux héréditaires de l’église cathédrale, et, à ce titre, ils opprimaient la municipalité ou en absorbaient tous les pouvoirs. Les corporations d’arts et métiers, chargées par abus de prestations et de corvées, tombaient dans une dépendance presque servile. Ainsi, la condition faite aux hommes de travail sur les domaines des riches et dans les nouveaux bourgs qu’une concession expresse n’avait pas affranchis, tendait, par le cours même des choses, à devenir universelle, à s’imposer aux habitans, libres jusque-là, des anciennes villes municipales.

Il y eut des cités où la seigneurie de l’évêque s’établit sans partage et resta dominante ; il y en eut où le pouvoir féodal fut double, et se divisa entre la puissance ecclésiastique et celle de l’officier royal, comte ou vicomte. Dans les villes qui furent le théâtre plus ou moins orageux de cette rivalité, l’évêque, sentant le besoin d’une alliance politique, se détacha moins de la municipalité libre ou se replia sur elle. Il lui prêta son appui contre les envahissemens du pouvoir laïque ; il

  1. La qualification de seigneur, Dominus, Domnus, fut donnée aux évêques dans leurs villes bien avant les temps féodaux. Un acte passé en 804 devant la curie d’Angers présente comme synonymes les titres de Defensor et de Vice-domus ; on lit d’abord : Adstante vir laudabile Wifredo defensore, vel cuncta curia… et à la fin : Signum Wifredo vice-domo. Voyez Martène ; Amplissima collectio, p. 58 et 59.